Pouvoir local et enjeux ecclésiaux à Fougères à l’époque grégorienne (milieu XIe-milieu XIIe siècle)
Vendredi 6 août 2010, par
.Adhérez à Tudchentil !
Notice d'adhésion 2023 à Tudchentil, à remplir et à envoyer avec votre chèque au siège de l'association.Catégories de l'article
Source
Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 113, no 3, 2006, p. 105-135.Citer cet article
Florian Mazel, Pouvoir local et enjeux ecclésiaux à Fougères à l’époque grégorienne (milieu XIe-milieu XIIe siècle), 2010, en ligne sur Tudchentil.org, consulté le 13 octobre 2024,www.tudchentil.org/spip.php?article735.
[p. 106] « Les derniers événements de cette histoire ayant dépendu de la disposition des lieux où ils se passèrent, il est indispensable d’en donner ici une minutieuse description, sans laquelle le dénouement serait d’une compréhension difficile. La ville de Fougères… »
Honoré de Balzac, Les chouans, Paris, 1829.
À Fougères émerge dans le deuxième tiers du XIe siècle un site castral de première importance qui polarise rapidement une seigneurie majeure de haute Bretagne, à la limite de la Normandie et du Maine. De manière classique, l’essor du chef-lieu de seigneurie s’appuie sur l’implantation précoce d’un prieuré, le prieuré de la Trinité, au bénéfice de l’abbaye tourangelle de Marmoutier, alors à la tête du plus important réseau de dépendances monastiques de l’ouest de la France [1]. Une telle configuration se retrouve, au-delà de certaines nuances locales, à Vitré, Combourg, Châteaubriant, Bellême,
Craon, Laval, Sablé… pour en rester aux régions les plus proches [2]. Elle traduit ce que l’on pourrait appeler la logique seigneuriale des fondations [p. 106] prieurales. Sur le plan des pratiques sociales, la cella ou obedientia monastique [3] apparaît indispensable à tout seigneur châtelain d’une certaine envergure : elle constitue, à l’imitation des fondations princières, un témoignage de prestige et de puissance, l’indice d’une participation légitime à l’exercice de prérogatives publiques, le signe matériel de la relation d’amitié qui unit moines et grands laïcs, par l’intermédiaire notamment des pratiques liturgiques et funéraires. Sur un plan socio-économique, la présence des moines est le gage du développement démographique et économique du site castral : très souvent associée, dans la deuxième moitié du XIe siècle, à la création d’un ou plusieurs bourgs, elle favorise l’émergence d’une petite agglomération appelée à s’insérer dans un tissu urbain secondaire en formation, en grande partie lié à la nouvelle géographie des pouvoirs seigneuriaux [4].
Cependant, comme on le sait, l’histoire des prieurés est souvent moins simple qu’il n’y paraît. Les fondations, au même titre que celles des monastères eux-mêmes, ne résultent jamais de la seule volonté de ceux qui se présentent comme les « fondateurs », mais procèdent d’une séquence événementielle complexe [5]. Elles s’insèrent le plus souvent dans un environnement local déjà marqué par une occupation humaine et des structures ecclésiales et politiques antérieures [6]. Leur devenir dépend étroitement du contexte régional – émulation aristocratique, concurrence monastique, dynamisme économique [7]… – et des grands paradigmes politiques, ecclésiologiques et spirituels. La très belle étude de Giles Constable sur l’implantation problématique des moines de Cluny à Bertrée, en Lotharingie wallone, trop peu connue des historiens français, en fournit un lumineux exemple [8] : les transformations de l’ecclesia, de la réforme monastique à la réforme grégorienne, jouent un rôle décisif, en renouvelant non seulement les formes, mais la nature même de la relation entre clercs et laïcs, entre seigneurs et moines.
Le très riche dossier concernant le prieuré de la Trinité de Fougères, dépendance d’une abbaye, Marmoutier, qui devient dès les années 1055-1064 l’un des centres de la réforme grégorienne dans les pays ligériens et l’ouest de la France [9], permet de confirmer et de prolonger cette analyse. Outre les pièces issues de prieurés martiniens voisins (Louvigné-du-Désert et Saint-Sauveur-des-Landes) ou d’autres établissements monastiques (Saint-Florent de Saumur, la Trinité de Savigny, Saint-Pierre de Rillé) et quelques actes des princes bretons et normands (comtes de Rennes, comtes de Mortain, ducs de Normandie), nous disposons en effet d’une belle série d’originaux du fonds de Marmoutier au sujet du prieuré de la Trinité [10]. Comme nombre des dossiers monastiques de la région, cet ensemble associe chartes et notices, mêlant action et narration, donation et commémoration, histoire et mémoire. De cet entremêlement ressort avec acuité l’imbrication des enjeux matériels et idéels, politiques et ecclésiaux, dans l’implantation des moines réformateurs au cœur d’une seigneurie castrale.
La famille de Fougères : contexte familial et castral
Puissance et légitimité d’une domination aristocratique [11]
Dans les années 1040, dans une donation en faveur de Marmoutier, Main II de Fougères se dit fils d’Alfred, lui-même fils de Main I et déclare donc se placer en « troisième » position [12]. Cet énoncé témoigne chez Main II de la claire conscience de s’inscrire dans une lignée (in linea) masculine dont [p. 108] l’origine revendiquée remonte à son grand-père, ce qui chronologiquement renvoie aux années 980-990 environ. Si l’on en croit une charte récapitulative en faveur de l’abbaye Saint-Pierre de Rillé, vers 1150-1157, cette conscience patrilinéaire se renforce au XIIe siècle, même si l’ancêtre est désormais Alfred, le souvenir de Main I s’étant apparemment effacé ou obscurci [13]. Hormis son évocation par son petit-fils, nous n’avons d’ailleurs pas conservé de traces documentaires de Main I, à la différence d’Alfred, miles de l’entourage du comte de Rennes Alain III (1008-1040) qui souscrit plusieurs chartes comtales dans les années 1009-1030 [14]. Main II est le premier membre de la famille à être l’auteur de plusieurs actes dans les années 1030-1050. Ceux-ci, surtout des donations, nous révèlent un patrimoine abondant, entièrement situé dans le nord-est du comté de Rennes. Au premier rang figure, apparemment dès la fin du Xe siècle, la villicatio ou viatura, c’est-à-dire la vicaria, de Louvigné, décrite vers 1040-1047 comme un ensemble de
neuf paroisses [15]. Cet ensemble s’étend même au nord du Couesnon, dans une zone passée sous domination normande depuis les années 1024-1030 [16]. On trouve aussi des biens et droits situés dans le pagus minor du Vendelais (à Saint-Sauveur-des-Landes, Romagné, Fougères, Laignelet) [17] et plus tardivement, autour de 1050, dans le pagus minor du Coglès (Poilley, Villamée, Vieux-Vy-sur-Couesnon) [18]. Parmi ces biens figurent de très nombreuses églises, avec leurs dotations, leurs dîmes et les droits attachés à l’autel. Dès le milieu du XIe siècle se dessine donc l’image d’une grande puissance, impliquant notamment de nombreux droits publics et ecclésiastiques (cf. carte de situation en fin d’article). Jamais Alfred, ni Main II ne portent le titre de vicarius, seulement celui de miles. Ils semblent toutefois bien plus puissants que les vicarii que l’on connaît encore en haute Bretagne dans le premier [p. 109] tiers du XIe siècle et qui disparaissent ensuite. Le titre de dominus ne leur est associé qu’à l’extrême fin du XIe siècle (en 1096 [19]), mais dès les années 1040, ils ont fait l’acquisition du cognomen toponymique « de Fougères », au moment même où le castrum de Fougères apparaît pour la première fois dans la documentation écrite [20], et plusieurs actes de la deuxième moitié du
XIe siècle montrent Raoul de Fougères, le fils de Main II, rendant la justice, entouré de ses fidèles [21].
La famille bénéficie à l’évidence de liens étroits avec le pouvoir comtal.
Main II, comme son père avant lui, figure régulièrement dans l’entourage
des comtes de Rennes Alain III et surtout Eudes (1040-1047) et Conan II
(1040-1066) [22]. Ceux-ci confirment les importantes donations qu’il effectue en faveur de Marmoutier à Louvigné, Saint-Sauveur et Romagné en 1040-1045/1047 [23]. Enfin, dans les listes de souscripteurs des actes comtaux, Main II apparaît toujours en tête, juste derrière les comtes [24]. Tout ceci donne le sentiment que le pouvoir qu’exerce Main II – et déjà ses parents – dans le nord-est du Rennais, comme la polarisation qui s’opère autour du castrum de Fougères à partir des années 1040, se sont développés avec l’assentiment des comtes [25], même s’il semble excessif d’y voir le fruit exclusif d’une stratégie comtale tournée contre le duc normand, ainsi que l’hypothèse a pu en être faite [26]. Un autre élément serait susceptible d’expliquer cette proximité avec les comtes de Rennes et a pu favoriser l’exercice de larges prérogatives publiques par la famille de Fougères : Adélaïde, l’épouse de Main II, pourrait bien être une fille du comte Eudes, comme plusieurs indices anthroponymiques, diplomatiques et factuels le laissent supposer [27]. Une telle alliance, à l’évidence porteuse de légitimité et de prestige, [p. 110] pourrait expliquer le surcroît de puissance acquis à la génération de Main II. Pour autant, il ne faudrait pas en déduire une fidélité servile à l’égard des comtes, d’autant que la révolte d’Eudes contre son neveu le comte Conan II en 1054-1057 ébranle l’ensemble des réseaux aristocratiques [28].
D’ailleurs, au début des années 1050, le groupe familial se sent suffisamment fort pour basculer du côté normand, à l’image d’autres puissants comme les Dol-Combourg [29]. Main II apparaît à la cour du duc Guillaume (1035-1087), noue des liens avec le comte de Mortain, son vassal et parent, et reçoit des fiefs en Normandie autour de Savigny, à proximité de Mortain, et à Hudimesnil, entre Avranches et Coutances [30]. La position de la famille lors de [p. 111]
La famille de Fougères (XIe-XIIe siècles)
[31]
[p. 112] la campagne de Bretagne du duc Guillaume en 1063-1064 n’est pas connue : Main II semble alors décédé et son fils Juhel disparaît aussi rapidement [32],
laissant seuls sa mère Adélaïde et son tout jeune frère Raoul, encore enfant (acte n° 7). Mais après la réconciliation entre le duc Guillaume et le comte de Rennes en 1064 et jusque vers 1120 au moins, les Fougères continuent d’apparaître aux côtés de l’un comme de l’autre et de détenir des biens et des droits aussi bien en Bretagne qu’en Normandie et en Angleterre [33]. La proximité avec le pouvoir princier, quel qu’il soit, demeure pourvoyeuse de légitimité, sans encore limiter les prérogatives aristocratiques.
L’essor du site castral de Fougères
Au milieu du XIe siècle, les domaines de Main II s’articulent autour de
deux pôles : Louvigné-du-Désert, désigné tantôt comme vicus tantôt comme burgus, et Saint-Sauveur-des-Landes, qui n’est pas caractérisé. Dans le premier, Main II obtient de l’abbaye de Marmoutier la fondation d’une obédience en augmentant substantiellement la dotation faite par son grand-père au tout début du XIe siècle [34]. Saint-Sauveur apparaît de son côté comme la principale résidence de la famille. Dans les années 1040-1045/1047, une autre dépendance de Marmoutier y est fondée. Plusieurs donations lui sont destinées et l’église devient le lieu de sépulture privilégié de la famille : Main II, puis sa femme Adélaïde et son fils Juhel y sont inhumés [35]. Entre 1064 et 1076, la première donation de Raoul en vue de la fondation du prieuré de Fougères est encore effectuée à Saint-Sauveur (acte n° 1).
Pourtant, dans la seconde moitié du XIe siècle, le castrum de Fougères éclipse rapidement Saint-Sauveur comme pôle majeur de la domination seigneuriale familiale. En témoigne d’abord, dans l’ordre symbolique, l’évolution anthroponymique. Lorsque pour la première fois est cité le castrum de Fougères vers 1040-1045/47, dans la donation de l’église de Saint-Sauveur en faveur de Marmoutier, Main II s’intitule Maino miles Redonensis provinciae et souscrit Maino filii Aufredi [36]. Mais dans plusieurs actes des mêmes années il est appelé Mainus de castro Felicense (sic) ou Maino de Filgeriis [37]. Ce nouveau cognomen toponymique se transmet ensuite à son fils Raoul [p. 113] qui le porte en 1082, 1089 et 1092 [38]. Il est ensuite régulièrement porté par le fils qui reprend l’héritage paternel, à partir de la mort du père. Cette évolution renvoie à l’évidence au transfert de la familia et de la curia seigneuriales au château de Fougères, celui-ci devenant à la fois la principale résidence du maître et le principal lieu où il rend la justice.
Dans la donation des années 1064-1076, premier document à évoquer un peu concrètement le site de Fougères, le castrum comporte une église, placée sous le vocable de Sainte-Marie et desservie par un groupe de clercs/chanoines (acte n° 1) [39]. La documentation plus tardive nous apprend qu’au moins quatre clercs en dépendent et que sa dotation s’étend en Vendelais et Coglès (actes n° 3 et 4). Comme dans bien d’autres châteaux de Bretagne, d’Anjou ou du Maine, mais aussi d’Île-de-France, d’Orléanais, de Berry, de Picardie ou de Champagne, où les communautés canoniales se multiplient depuis le début du XIe siècle [40], Fougères abrite donc, autour de la famille seigneuriale proprement dite, une familia plus vaste, mêlant milites et chanoines, appartenant probablement aux mêmes familles et assurant auprès du seigneur leur service matériel et spirituel. Les hypothèses archéologiques les plus prudentes, fondées sur des fouilles modestes et des vestiges difficiles à interpréter, laissent par ailleurs deviner une morphologie castrale composée d’une grande enceinte linéaire englobant toute la plate-forme de hauteur avec, outre l’église Sainte-Marie, un logis seigneurial (une aula dotée d’une cheminée monumentale) et une tour-porche. Le passage du bois à la pierre est sans
doute assez précoce, en tout cas antérieur à la destruction de 1166 par
Henri II Plantagenêt [41].
Comme nous l’apprennent deux notices des années 1089-1096 (acte
n° 4) et 1113-1124 (acte n° 7), une autre église, dédiée à Saint-Sulpice, s’élève au pied du castrum et détient les fonctions paroissiales. Elle est certainement postérieure à l’église Sainte-Marie. Un acte plus tardif, daté de 1169, atteste que la paroisse Saint-Sulpice, alors de très petite taille, est une nouvelle paroisse créée aux dépens de l’ancienne grande paroisse Saint-Martin [p. 114] dite de Lécousse, à l’évidence en raison de l’essor du château [42]. On se trouverait donc en présence d’un cas classique de surimposition castrale entraînant la recomposition du cadre paroissial antérieur. Le site est en effet rapidement devenu un foyer de peuplement avec, dès la deuxième moitié du XIe siècle, trois bourgs seigneuriaux : le bourg vieux et le bourg neuf, qui s’étendent à l’est depuis le château sur les hauteurs non inondables qui surplombent la vallée du Nançon, et le bourg Chevrel, certainement plus modeste, qui s’étend au pied méridional du château (cf. carte du site en annexe) [43]. La donation de 1064-1076 nous apprend en outre l’existence d’un pont et d’au moins un moulin sur le Nançon, ainsi que la tenue d’un marché hebdomadaire et de deux foires annuelles (acte n° 1). L’appel aux moines de Marmoutier s’inscrit donc dans un contexte de développement déjà important, même si le peuplement relève encore plus de la nébuleuse que de l’agglomération.
Les motifs de la fixation seigneuriale à Fougères demeurent mystérieux. Fougères est située dans le pagus minor du Vendelais, au cœur des possessions de la famille et en retrait par rapport à la nouvelle frontière breto-normande de 1023-1030 qui exposait la région de Louvigné aux agressions normandes – au moins jusqu’à l’entrée de Main II et de ses successeurs dans l’entourage du duc de Normandie. Mais cette situation ne distingue pas Fougères de Saint-Sauveur et ne permet pas d’expliquer le transfert d’un lieu à l’autre. Le site en revanche – une hauteur arasée placée dans le méandre du Nançon, facilement isolable par une dérivation et un système d’étangs et de marais – se prêtait bien mieux à l’implantation d’une forteresse. Le nom même du lieu souligne l’importance des zones humides et marécageuses et laisse supposer un espace peu, voire inoccupé au préalable [44]. Il reste toutefois délicat d’en tirer des conclusions définitives.
[p. 115]
Entre histoire et mémoire : l’implantation des moines de Marmoutier à Fougères
La fondation du prieuré de la Trinité : retour aux sources
La fondation de la Trinité nous est connue par deux documents. Le plus ancien est une charte de donation de Raoul de Fougères partiellement
conservée en original (acte n° 1). Les dates extrêmes de sa composition
sont 1064 et 1076, mais elle a vraisemblablement été effectuée au début des années 1070, à la majorité de Raoul qui se dit seculari militiae mancipatus. La charte commence par un long préambule pieux soulignant la nécessité de donner beaucoup aux pauvres ici-bas de manière à recevoir « les récompenses de la béatitude éternelle » dans l’au-delà et justifiant le choix de Raoul des meilleurs pauvres qui soient : les pauvres volontaires qui ont renoncé à tout pour servir Dieu, à savoir les moines de l’abbaye de Marmoutier. Le dispositif développe ensuite les biens et droits offerts aux moines et à l’abbé Barthélemy (1064-1084). Il s’agit d’abord d’un lieu à Fougères, dans un méandre du Nançon, où ils auront le droit d’édifier une église dédiée à la Sainte-Trinité et des habitations pour eux-mêmes. Ils reçoivent aussi l’autorisation de fonder un bourg dans tout l’espace qui leur revient, d’où est retiré le marché qui se tenait là chaque samedi. Ils obtiennent encore un étang avec un moulin, ainsi que plusieurs charruées de terres et de nombreux droits seigneuriaux sur les domaines de Raoul, tant en Bretagne qu’en Normandie (part des revenus du marché et des foires, du frumentagium, du pasnage, des moulins). Enfin, Raoul s’engage, au cas où il souhaiterait remplacer les chanoines de l’église Sainte-Marie par des moines, à donner l’église aux moines de Marmoutier. La donation est effectuée avec le consentement de sa mère Adélaïde et de sa sœur Godehilde et Raoul associe à son geste et à ses bénéfices spirituels son père et ses frères défunts.
Le second document est une notice récapitulative qui constitue une véritable mise en récit de l’implantation des moines à Fougères, dont la composition peut être datée entre 1113 et 1124 (acte n° 7). Le contexte de rédaction est donc profondément différent de l’acte précédent. Il se place après la crise qui a durement opposé Raoul de Fougères aux moines de Marmoutier au sujet de la possession de l’église castrale Sainte-Marie, crise qui est allée jusqu’à la mise sous interdit de sa seigneurie et la menace d’excommunication de sa personne par les plus hautes autorités de la chrétienté, le pape et son légat. Il se situe aussi après la fondation de l’abbaye de Savigny par Raoul, vers 1112-1113, et la mort de Raoul, de peu postérieure à celle-ci. Le récit, chronologique, commence avec le rappel de la générosité passée de Main II envers les moines de Marmoutier. Puis il se poursuit avec le vœu d’Adélaïde, sa veuve : celle-ci aurait décidé de faire construire à Fougères, sur des terres lui appartenant, une église dédiée à la Trinité, de manière à favoriser la guérison de son dernier fils Raoul, menacé de mourir. Une fois ce dernier guéri, Adélaïde et Raoul auraient donné l’église à Marmoutier sur le conseil de l’évêque de Rennes Main (1048-1076) et de son archidiacre Raoul, avec le consentement du chapitre cathédral. L’église et [p. 116] son cimetière ont ensuite été consacrés par l’évêque. Puis le récit décrit la dotation qu’Adélaïde et Raoul auraient accordée à l’église. Son contenu diffère sensiblement de ce que nous apprenait la charte de 1064-1076. On trouve d’abord dans cette dotation l’église Saint-Sulpice, avec toutes les prérogatives paroissiales, à la réserve de quelques droits attachés à l’église cas trale Sainte-Marie. Elle comporte ensuite le bourg Chevrel [45], qui provient
du douaire d’Adélaïde, un étang et un moulin situés à côté de l’église Saint-
Sulpice, un droit de pêche sur le Nançon, divers autres droits seigneuriaux
sur la pêche, les pasnages, les forêts et l’usage du bois, une terre et un pré. Le récit reprend avec la mort d’Adélaïde et le rappel de son inhumation à Saint-Sauveur. Il évoque enfin une nouvelle donation de Raoul du dixième des revenus de son marché et, plus longuement, le pariage conclu entre Raoul et le prieur Albert au sujet de la construction et de l’exploitation d’un nouveau moulin à côté de l’église de la Trinité. Cet accord peut être assez précisément daté puisqu’il eut lieu à l’occasion d’une halte à Marmoutier faite par Raoul sur la route de son pèlerinage à Rome, peu après 1096, halte au cours de laquelle il fut reçu par l’abbé Bernard (1084-1100) dans la societas beneficii du monastère. La notice se termine par le rappel de la confirmation par les fils de Raoul, après son décès, de toutes les donations effectuées par leur père et leurs autres ancêtres.
Le contraste entre les deux textes est patent. Il concerne la forme du document comme son contenu. Aucun des deux documents ne présente de caractère suspect sur le plan diplomatique. En fait ce sont leurs enjeux qui diffèrent, car leur but et leur contexte de production ne sont pas les mêmes, renvoyant aussi bien aux préoccupations différentes du seigneur et des moines qu’à l’évolution profonde de leurs relations entre les années 1070 et les années 1110.
Les enjeux d’une fondation
Au regard de la charte de 1064-1076, les motivations de Raoul de Fougères, dont l’initiative est nettement valorisée (elegi…), apparaissent claires. Il s’agit pour lui de favoriser l’implantation des moines de Marmoutier avant tout pour des raisons idéologiques, à la fois religieuses
et politiques, et de manière seulement secondaire pour des motifs économiques : la fondation d’un nouveau bourg monastique reste ici une potentialité [46]. À l’évidence, la présence d’une petite communauté de moines au pied de son château apparaît indispensable au seigneur. Elle garantit l’association privilégiée de Raoul et de ses parents, vivants et morts, aux bénéfices des services spirituels assurés par ces héros de la pauvreté volontaire et de l’efficacité liturgique que sont les moines de saint Martin. Elle représente dans le même temps, apparemment bien plus que l’ancienne [p. 117] communauté canoniale, une forme de protection spirituelle voire de sacralisation du chef-lieu castral et du pouvoir seigneurial. La donation de nombreuses parts de revenus seigneuriaux (un dixième du frumentagium et du pasnagium, la moitié des foires) sur tout le domaine des Fougères, tant en Bretagne qu’en Normandie, ne vise-t-il pas à instaurer une coseigneurie superposant, imbriquant même, seigneurie châtelaine et seigneurie monastique ? Logiquement le point d’aboutissement d’une telle démarche aurait dû être l’élection de sépulture dans l’église prieurale, élevée au rang de nouvelle nécropole familiale conservatrice de la memoria seigneuriale [47], mais l’on ne connaît pas le lieu de sépulture de Raoul et ses relations avec les moines de Marmoutier se sont fortement dégradées bien avant sa mort [48].
En tout cela le geste fondateur de Raoul représente, à une échelle plus modeste, une imitation du prince, protecteur et fondateur de monastères. Le choix de Marmoutier s’inscrit dans une tradition familiale, peut-être inaugurée avec Main I et enracinée de manière certaine avec Main II, bienfaiteur des moines de Tours à Louvigné et Saint-Sauveur au milieu du XIe siècle. Mais cette tradition dérive elle-même de la dévotion des comtes de Rennes, dont les Fougères sont les fidèles et peut-être les parents. L’abbaye de Marmoutier a été réformée en 982 par l’abbé de Cluny Maïeul, à la demande des comtes de Blois, et son influence s’est rapidement étendue dans les régions de l’ouest. Son introduction en Bretagne est due aux comtes de Rennes, intimement liés à la fondation du prieuré de Gahard dans les années 1015-1019 [49]. La générosité du duc de Normandie Guillaume, dont les Fougères sont aussi les fidèles à partir des années 1050, envers l’abbaye – elle reçoit des biens à Guernesey et surtout l’abbaye de Battle, fondée après la victoire
d’Hastings en 1066 – n’a pu que renforcer ce modèle princier.
La vision qu’ont les moines de la fondation de leur prieuré telle qu’elle apparaît à la lecture de la notice des années 1113-1124 se révèle fort différente. On peut repérer dans ce texte trois intentions principales. La première fait de la fondation une action de grâces, un remerciement à Dieu pour la vie sauvée de Raoul. Le recours d’Adélaïde à la prière et la dimension miraculeuse de la guérison, que le texte laisse clairement entrevoir, [p. 118] mettent en valeur l’initiative divine, dont découle l’action seigneuriale. En outre, la qualité de dernier fils de Raoul, que souligne la notice, vise à montrer que la vie du seigneur et la survie de la lignée doivent tout à l’intervention divine. Il s’agit de la part des moines d’assurer la memoria de ce moment fondateur à l’origine de leur implantation à Fougères, laquelle – là est le nœud de l’intrigue – apparaît donc intimement liée la perpétuation même de la famille seigneuriale. Une deuxième intention du texte est de souligner la multiplicité des acteurs de la fondation pour mieux minorer le rôle propre de Raoul. Le texte s’ouvre sur le rappel des bienfaits de son père Main II ; il se poursuit par le vœu de sa mère Adélaïde ; il souligne que les premiers biens offerts aux moines, dont le terrain où s’élève leur église, sont issus du douaire de celle-ci [50] ; il mentionne le rôle de conseillers joué par l’évêque de Rennes et son archidiacre ; il rappelle le rituel fondateur de la consécration de l’église et du cimetière par ce même évêque. Autant de protagonistes et d’actions qui, de fait, diluent dans une volonté collective et consensuelle la part d’initiative personnelle qui revenait peut-être à Raoul. Parmi ces acteurs, il faut souligner le rôle privilégié attribué à Adélaïde. Il peut s’expliquer par l’attention particulière que les réformateurs, moines et évêques, bientôt aussi les ermites, semblent avoir accordée aux femmes de l’aristocratie, qu’ils estimaient sans doute plus faciles à convaincre du bien fondé de leurs intérêts que les hommes ou qu’ils investissaient d’une bénéfique influence sur leur époux [51]. Le phénomène est bien connu et pour notre région on peut évoquer le cas, certes plus tardif, de la comtesse Ermengarde († 1147), épouse du duc d’Aquitaine puis du duc de Bretagne. Mais si l’on admet qu’Adélaïde est une fille du comte Eudes, on peut aussi y voir la volonté des moines de Marmoutier de se prévaloir d’un nouveau témoignage de la faveur comtale, faveur dont le rappel pouvait en outre se révéler utile vis-à-vis des seigneurs de Fougères. La troisième intention de la notice, étroitement liée à la précédente, est de rappeler combien la dévotion de la famille de Fougères envers Marmoutier s’enracine dans une tradition dont Raoul est l’héritier et non l’initiateur et qu’il importe à ses successeurs de perpétuer. C’est sans doute la raison pour laquelle le texte nous rapporte qu’Adélaïde aurait directement été inspirée par les généreuses donations de son défunt époux en faveur de l’abbaye. De même, la référence aux sépultures de la famille à Saint-Sauveur-des-Landes peut se lire comme une invitation faite aux enfants de Raoul à renouveler le pacte funéraire ancestral. Elle rappelle en tout cas la fonction liturgique et mémorielle qu’assurent les moines au bénéfice de l’âme des ancêtres des actuels seigneurs.
[p. 119]
D’un autre côté, il est remarquable que le texte passe sous silence les graves tensions ayant récemment opposées Raoul de Fougères aux moines : à peine se limite-t-il à une brève allusion au pèlerinage pénitentiel imposé à Raoul, et encore est-ce pour rappeler son passage à Marmoutier, l’abbaye-mère, et l’accueil de Raoul par l’abbé lui-même et le prieur majeur. La notice n’en est pas pour autant falsificatrice [52]. En effet, seule la donation du bourg Chevrel par Adélaïde est peut-être contredite par un autre texte [53], tandis que plusieurs éléments nouveaux concernant l’implantation des moines martiniens peuvent au contraire être confirmés. Il est ainsi très probable que la donation de Raoul de 1064-1076 ne représente pas la totalité du patrimoine initial de la Trinité et qu’il faille y ajouter certains biens et droits, sans doute pour une part apportés par sa mère, notamment l’église paroissiale Saint-Sulpice [54], offerte aux moines moyennant la perpétuation du privilège de la familia d’assister à la messe dans l’église castrale Sainte-Marie [55]. D’autre part, on peut tenir pour établi que les donations se sont prolongées au-delà de cette phase initiale, avec notamment une nouvelle association pour la construction et l’exploitation d’un second moulin sur le Nançon.
Contrairement à ce que pourrait laisser croire une lecture rapide, il ne s’agit donc ni d’une simple compilation de l’acte de donation de Raoul et d’autres actes (même si ceux-ci ont pu exister [56]), ni d’un tissu d’inventions, mais bien d’une mise en perspective subtile, orientée et partielle de l’histoire de la relation entre les Fougères et les moines de la Trinité. Son but, comme le manifeste la demande de confirmation adressée aux fils de Raoul, est de retisser le lien privilégié entre la famille et les moines par-delà la crise qui a conduit à l’excommunication de Raoul et à l’interdit jeté sur ses terres, un lien menacé par la fondation récente de l’abbaye de Savigny – dans laquelle Raoul lui-même a probablement élu sépulture – et le transfert de dévotion dont elle pourrait bénéficier. Que s’est-il donc passé au tournant des XIe et XIIe siècles pour justifier une telle inquiétude ?
Expansion monastique et crise grégorienne
Les moines de Marmoutier installés à Fougères sont dirigés d’abord par Foulques, puis par Albert, qui est le premier dans notre documentation à porter le titre de prieur, en 1089 [57]. Sur le plan temporel, les moines ne [p. 120] reçoivent guère d’autres donations que celles de Raoul et de deux de ses fidèles [58]. Mais ils possèdent un moulin, bientôt la moitié d’un autre, et ils profitent de nombreux droits, en particulier sur les marchés et les foires. À la fin du siècle, ils sont en mesure de prêter 225 livres de vieux deniers de Rennes à Raoul de Fougères, une somme considérable que celui-ci s’engage plus tard à rembourser, mais en cinq ans. Le prieuré de Fougères est alors l’un des principaux de la région, avec ceux de Vitré et de Combourg : il semble compter six moines environ et son prieur apparaît fréquemment parmi les témoins des actes dressés dans la région [59] ; l’église, détruite à la
fin du XVIIIe siècle, était l’une des plus vastes parmi les sanctuaires monastiques bretons de cette époque [60].
Cependant, au regard des sources conservées, le principal objectif des moines semble bien de prendre le contrôle de tous les lieux de culte de Fougères et des droits qui y sont attachés, tout en y imposant une discipline ascétique, quitte à se heurter aux intérêts de leurs desservants et de leurs patrons [61]. En cela les moines de Fougères se montrent les dignes représentants de leur monastère qui, depuis l’abbatiat d’Albert (1037-1064) et avec le soutien de la papauté, s’est fait le principal promoteur de la réforme grégorienne dans les régions de l’ouest de la France.
Le contrôle des églises et des clercs : l’affaire du prêtre Albéric
Dans sa donation de 1064-1076, Raoul de Fougères s’était engagé à s’adresser aux moines de Marmoutier en cas de substitution de moines aux chanoines dans l’église castrale Sainte-Marie (acte n° 1). En 1092 ou peu avant, il tient son engagement (acte n° 3). À l’égal de très nombreux seigneurs de Normandie, du Maine ou d’Anjou, il préfère que le culte de sa chapelle seigneuriale soit désormais pris en charge par des moines, dont le service est sans doute jugé plus prestigieux et plus efficace [62]. Il donne donc aux moines de la Trinité l’église Sainte-Marie et sa dotation, tout en [p. 121] augmentant de manière substantielle celle-ci de toute une série de nouveaux biens, parmi lesquels figurent notamment l’église Saint-Nicolas, construite à l’extrémité du bourg neuf [63], et le bourg Chevrel, au pied du château, où les moines sont encouragés à établir un bourg [64]. Y figurent aussi un certain nombre de terres et de droits situés tant en Normandie qu’en Bretagne, ce qui explique que les moines se soient souciés d’obtenir la confirmation de Guillaume, comte de Mortain. En recevant les églises Sainte-Marie et Saint-Nicolas les moines prennent pied dans le château lui-même et dans le bourg seigneurial, de l’autre côté du Nançon, qui, au regard de la délimitation de 1169, relève de la paroisse Saint-Martin de Lécousse. L’ensemble des églises de l’agglomération fougeraise sont alors passées sous leur contrôle : toutes celles de la paroisse Saint-Sulpice (Saint-Sulpice, Sainte-Marie, Sainte-Trinité) et une de la paroisse voisine de Lécousse (Saint-Nicolas). L’importance que revêtent ces acquisitions pour les moines explique certainement la considération accordée à l’acte de 1092, dont témoigne le titre significatif de preceptum écrit au dos du manuscrit par l’archiviste de Marmoutier, un titre seulement porté parmi les pièces du prieuré de la Trinité par la charte fondatrice de 1064-1076.
Dans les années précédentes, la gestion de l’église Saint-Sulpice soulève toutefois pour les moines bien des difficultés, qui témoignent à la fois du programme pastoral et ecclésiologique des moines et des réticences que leur expansionnisme semble susciter. Nous disposons à ce propos d’un document exceptionnel : le récit rédigé dans les années 1080-1092 par les deux premiers prieurs de la Trinité, Foulques et Albert, au sujet des nombreux méfaits commis par le desservant de Saint-Sulpice, le prêtre Albéric (acte n° 4). Quels sont ces méfaits ? Albéric est accusé de mettre en scène de faux miracles, probablement pour assurer le rayonnement local du sanctuaire dont il a la charge. Pour cela, Albéric n’hésite pas à souiller l’autel et les linges liturgiques de sang fétide. Albéric aurait aussi enduit la croix d’excréments humains sur l’autel, avant de la dissimuler. Il aurait volé l’argent d’un prêtre et dérobé les offrandes des fidèles. Il conserverait l’église et ses revenus pour son propre profit, en dépit de la donation d’Adélaïde et contre la volonté du prieur et des moines. Il serait par ailleurs trop ignorant pour célébrer l’office de la messe convenablement et aurait dérobé des livres au prieuré en profitant d’un incendie. Enfin, au grand scandale de l’archidiacre de Rennes venu en visite pastorale à Fougères au nom de l’évêque, il aurait refusé de confesser les femmes qui n’acceptaient pas de s’offrir à lui.
Le sens de cette énumération et les catégories utilisées pour décrire le comportement d’Albéric se révèlent très significatifs. Le récit se focalise d’abord sur la profanation de l’autel et des objets du culte : la croix, rappelant le sacrifice du Christ, et les linges, utilisés pour la célébration de [p. 122] l’eucharistie. La souillure par un sang pourri, en particulier, est appelée à faire d’autant plus scandale que s’impose dans l’Église grégorienne une conception réaliste de la transformation des espèces qui voit dans le vin du calice « le vrai sang du Christ ». Albéric est ainsi dénoncé comme « sacrilège » (revelatus sacrilegus fuit) et dans un contexte marqué par la controverse eucharistique et la condamnation de Bérenger de Tours l’accusation est grave. Elle met en cause la croyance d’Albéric et son action de célébrant [65]. Le texte évoque ensuite le vol d’argent, le détournement des offrandes, la rétention de l’église et de ses revenus : Albéric est accusé de trafic de biens ecclésiastiques, il est implicitement considéré comme un simoniaque. Puis le récit aborde la question de l’instruction, ou plutôt de l’absence d’instruction d’Albéric, incapable de dire correctement l’office parce qu’ignorant le latin et le chant et obligé de dérober des livres au prieuré pour tenter de compenser cette ignorance : sa compétence pastorale est directement mise en cause. La notice complémentaire évoquant la visite de l’archidiacre développe enfin le thème de la morale sexuelle : Albéric est accusé non seulement de ne pas respecter la chasteté, désormais rigoureusement imposée aux prêtres, mais encore de commettre l’adultère, puisqu’il entreprendrait des femmes mariées. On le voit, le réquisitoire est très complet et, derrière la mise en récit et le pittoresque des épisodes, développe, en quelque sorte par antinomie, tous les thèmes qui fondent le modèle sacerdotal d’inspiration monastique promu par les réformateurs grégoriens. Ainsi mise en texte l’histoire d’Albéric constitue une forme d’exemplum grégorien contre les mauvais prêtres. Il témoigne de l’engagement résolu dans l’œuvre de réforme des moines de Marmoutier à un moment où celle-ci peine encore à s’imposer en haute Bretagne et suscite l’hostilité de certains clercs et de nombreux puissants, comtes, seigneurs et milites [66].
Pourtant à côté de la sévérité de leur jugement, on entrevoit le malaise des prieurs de Fougères, qui ne parviennent pas à se débarrasser d’Albéric et à prendre réellement le contrôle de l’église Saint-Sulpice. À la suite d’une [p. 123] première réprobation de la part de Foulques, Albéric obtient d’abord d’être examiné et corrigé par Harduin de Chartres, « maître des écoles de Fougères » (?) et probablement chanoine de Sainte-Marie. Après l’échec de cette entremise, il se voit contraint de se présenter devant l’archidiacre de Rennes pour une entrevue dont le prieur Foulques espère qu’elle mettra à jour son ignorance. Mais Albéric obtient d’y échapper en échange de sa promesse d’abandonner l’église Saint-Sulpice et grâce à l’intervention de plusieurs garants et témoins, parmi lesquels Harduin, Marquier de Gahard, Albéric de Saint-Germain et le doyen Main, vraisemblablement tous chanoines de Sainte-Marie, qui avaient été envoyés par le seigneur Raoul de Fougères. Finalement écarté du service de l’église Saint-Sulpice, Albéric obtient d’y être réintégré au bout de seulement deux ans grâce, de nouveau, à l’entremise de ses amis et de sept garants, parmi lesquels figurent cette fois-ci Raoul de Fougères lui-même, son sénéchal et plusieurs des chevaliers membres de sa familia. Le prieur Albert se désole de cette décision de son prédécesseur, auquel il reproche sa faiblesse et son incompétence. Mais Foulques avait-il les moyens d’agir autrement ? Tout montre que le prêtre Albéric dispose de solides appuis. Sans doute la notice, probablement composée par Albert ou à son initiative, a-t-elle d’ailleurs pour objet de fourbir des arguments destinés à convaincre les autorités diocésaines d’intervenir sans pour autant compromettre trop brutalement les amis et soutiens d’Albéric, à commencer par le seigneur lui-même. On comprendrait mieux les embarras et les menues contradictions du texte, comme la visite opportune de l’archidiacre de Rennes Arnulf, sans doute sollicitée par Albert [67]. L’archidiacre, qui ressort apparemment effaré de sa rencontre avec les femmes qu’Albéric aurait tenté de contraindre, semble en tout cas bien décidé à convaincre l’évêque Silvestre (1076-1096) d’écarter Albéric en dépit des appuis dont il dispose. Nous n’en savons malheureusement pas plus sur cette affaire.
En définitive, comment expliquer un tel imbroglio ? L’église paroissiale Saint-Sulpice a probablement été donnée aux moines par les Fougères avec son desservant, sans doute avec l’obligation de le conserver dans sa charge jusqu’à sa mort – peut-être pour se concilier son accord lors de la donation. Tout laisse penser qu’Albéric est un membre de la familia seigneuriale et qu’il est lié aux chanoines de l’église castrale Sainte-Marie (qui n’a pas encore été offerte aux moines de Marmoutier) et aux chevaliers du château. Peut-être est-il lui-même un clerc/chanoine de Sainte-Marie plus spécialement chargé de la desserte de l’église Saint-Sulpice ? Les deux églises sont liées par un arrangement sur les droits paroissiaux et appartenaient primitivement toutes les deux au seigneur. En outre, on sait que l’église Sainte-Marie exerçait sa tutelle sur une autre église paroissiale, l’église de Bazouges-la-Pérouse (acte n° 3). Quoi qu’il en soit, la tutelle monastique ne semble pas avoir convenue au prêtre Albéric. Et quels qu’aient pu être ses [p. 124] méfaits et même si les moines semblent être parvenus à leur fin et l’avoir au bout du compte écarté, il a longtemps bénéficié du soutien des chanoines et du seigneur face aux moines. Ce soutien à un prêtre en difficulté face à la pression monastique et grégorienne, on le retrouve dans les décennies suivantes.
Moines contre chanoines : l’affaire de l’église canoniale Sainte-Marie
Au tournant des XIe et XIIe siècles, les relations entre Raoul de Fougères et les moines de Marmoutier se détériorent brutalement. Au cœur de la crise se trouve cette fois l’église Sainte-Marie [68]. Entre 1092 et 1096, Raoul revient en effet sur sa donation de 1092 et préfère confier son église castrale aux moines d’une autre abbaye bénédictine ligérienne, Saint-Florent de Saumur [69]. Les motivations de Raoul ne nous sont pas connues. L’affaire du prêtre Albéric a peut-être laissé des traces. L’abbaye Saint-Florent connaît par ailleurs dans ces années un développement important, en particulier dans la région de Dol et Combourg [70] : son abbé est Guillaume (1070-1118), un des fils de Rivallon, seigneur de Dol et Combourg ; l’abbaye semble profiter du soutien des réseaux aristocratiques liés à sa famille. Raoul de Fougères est alors proche des seigneurs de Dol : sa sœur Godehildis est l’épouse de Jean de Dol, autre fils de Rivallon et frère de l’abbé Guillaume [71]. Dans un acte que l’on peut dater des années 1093-1100, sans doute antérieur à 1096, Raoul de Fougères figure d’ailleurs parmi les témoins d’une donation en faveur de Saint-Florent, effectuée par deux membres d’une lignée chevaleresque de Combourg, sous le porche de l’église du prieuré de la Tremblay, en Coglès [72]. Cette parenté a certainement joué un rôle dans le choix de Saint-Florent.
Les moines de Marmoutier ont immédiatement réagi à la décision de Raoul de revenir sur sa donation initiale, ce dont témoignent un jugement rendu en 1096 par le nouvel évêque de Rennes, Marbode [73], ancien écolâtre [p. 125] et archidiacre d’Angers [74], et la notice rédigée par les moines après 1120/1123 qui rappelle les événements (acte n° 5). Les moines ont d’abord négocié avec Raoul, moyennant le consentement à son endroit d’un prêt exceptionnel de 225 livres de vieux deniers rennais [75]. Apprenant la venue du pape Urbain II dans la région et redoutant une excommunication pour trafic de biens ecclésiastiques, Raoul se serait adressé à l’évêque Marbode, partisan de la réforme et proche du pape, pour régulariser l’opération. Le jugement de ce dernier, rendu dans le chapitre cathédral de Rennes en 1096, condamne la transaction comme simoniaque et obtient de Raoul la restitution de l’église Sainte-Marie, que l’évêque remet aux moines de Marmoutier. Rien n’est dit de la somme de 225 livres. Les moines ne profitent pas longtemps de cette décision : entre 1099 et 1107, Raoul revient sur sa restitution. Au concile de Troyes, le 23 mai 1107 [76], le pape Pascal II, averti par la clamor des moines [77], exige la restitution de l’église [78] ainsi que des 225 livres et place les terres de Raoul sous interdit. Il investit son légat Gérard, évêque d’Angoulême [79], du règlement de l’affaire. Celui-ci vient tenir concile à Nantes à la fin de l’année 1107. Il oblige Raoul à exécuter l’ordre pontifical dans les quinze jours, sous peine d’excommunication. Raoul cède mais refuse de se rendre directement auprès des autorités ecclésiastiques et délègue le prêtre Damarhoc, ancien chanoine de Sainte-Marie, auprès de l’évêque Marbode : au nom de Raoul, le prêtre abandonne l’église Sainte-Marie, que Marbode remet à Garin de Lanrigan, prieur de la Trinité de Combourg et probable neveu de l’abbé Guillaume de Marmoutier (1104-1124). Au même moment ou peu après, une convenientia conclue entre d’une part Marbode, son archidiacre, les prieurs de Gahard et la Trinité de Fougères, et d’autre part Avicia, l’épouse de Raoul, et quatre de ses fidèles, règle la question des 225 livres, dont le remboursement doit être effectué dans un délai de cinq ans. En 1112, une bulle de Pascal II confirme la possession de l’église Sainte-Marie de Fougères par l’abbaye de Marmoutier [80].
[p. 126]
Au-delà des péripéties, ce sont bien deux logiques qui s’affrontent. La plus apparente est la raison des moines, explicitement formulée dans la notice d’après 1120/1123. Elle se fonde sur le respect du droit : la notice ne cesse de répéter que les moines défendent leur droit et la justice (sicut justum erat, ut jus nostrum, ut plenam nobis justiciam de eo faceret, justo ratiocinio, et maxime quia jus nostrum exigebat…). Ce droit repose sur trois éléments, dont le premier est l’obligation qu’aurait faite Main II avant sa mort à son fils Raoul de ne donner l’église Sainte-Marie qu’aux moines de Marmoutier. La notice d’après 1120/1123 s’ouvre par l’évocation de cette obligation. Celle-ci paraît cependant douteuse car Raoul n’était qu’un enfant au décès de son père et la charte de 1064-1076 nous apprend que cet engagement avait été pris par Raoul lui-même. En fait ce probable pieux mensonge trahit le désir des moines, comme dans la notice de 1113-1124, de lier Raoul par une tradition antérieure – ici la volonté supposée de son père – et de le déposséder de son autorité. En deuxième lieu, les moines renvoient au serment qu’aurait prêté Raoul lui-même à l’occasion de la fondation de la Trinité de ne confier l’église Sainte-Marie qu’aux moines de Marmoutier. Une telle affirmation peut en revanche s’appuyer sur la charte de 1064-1076. En troisième lieu, les moines peuvent avancer le preceptum de 1092 par lequel Raoul leur a bien donné l’église Sainte-Marie. Par conséquent, pour les moines, une parole a été donnée, à deux reprises, et une donation effectuée : elles sont irrévocables. Pour faire valoir ce droit, ils déploient successivement deux stratégies, significatives de l’évolution en cours. Ils sont d’abord prêts à négocier et à transiger : habitués à obtenir l’abandon des calumniae moyennant quelques compensations matérielles (un dédommagement) ou spirituelles (l’octroi de la societas), ils consentent à accorder un prêt exceptionnel à Raoul de Fougères pour faciliter la restitution de l’église. La venue du pape Urbain II dans la région en 1096 et l’élection au siège épiscopal de Rennes de Marbode les placent toutefois dans une situation difficile. L’utilisation de l’argent pour faciliter les restitutions est de fait considérée par Urbain II comme de la simonie. Les moines de Fougères, même s’ils font endosser par Raoul l’entière responsabilité de l’opération, se retrouvent de fait confrontés au dilemme classique des grégoriens : que faire primer ? Le retour d’un bien ecclésiastique dans le giron de l’Église ou la pureté des échanges et des relations avec les laïcs [81] ? Une argumentation subtile qui vise à montrer que Raoul a repris le contrôle de l’église pour lui-même, sans moines, ni chanoines (ce qui paraît peu vraisemblable), et l’appui de Marbode, très favorable aux moines de Marmoutier, leur permettent de se sortir de cette situation délicate. L’intervention pontificale les conduit alors sur les voies d’une nouvelle stratégie, plus radicale : le recours aux autorités supérieures de l’Église et à la coercition par les sanctions ecclésiastiques. En 1096, Raoul semble bien avoir accompli son pèlerinage à Rome dans un contexte pénitentiel, sans [p. 127] doute consécutif au premier arrangement conclu par l’évêque Marbode. Une étape à Marmoutier lui permet en outre de renouer son amicitia avec la communauté. En 1107, la crise est plus rude : le pape Pascal II, sollicité par les moines, jette l’interdit sur les terres de Raoul avant que le légat Gérard et l’évêque Marbode ne le menacent d’excommunication. Raoul cède, mais il refuse de se rendre au concile de Nantes ou à Rennes et se fait représenter par un fidèle puis par son épouse. Cette absence dit assez sa colère et l’amertume qui devait encore l’animer. L’amicitia est cette fois-ci bel et bien rompue.
La raison du sire n’ayant pas trouvé d’exutoire documentaire nous est plus difficilement accessible. Plusieurs éléments semblent toutefois se dégager. En premier lieu, il faut souligner qu’en dépit de sa volonté de remplacer les chanoines par des moines, Raoul entretenait des liens étroits avec les clercs de Sainte-Marie, constituant une sorte de groupe sacerdotal aux fonctions diverses au sein de la familia castrale. On peut rappeler son soutien, certes parfois embarrassé, au prêtre Albéric dans les années 1080. Le lien semble encore plus fort avec le chanoine Damarhoc : présent dans l’entourage du seigneur dès 1089 au moins, il est désigné en 1096 comme le clerc de Raoul, c’est-à-dire vraisemblablement comme son chapelain. Il assiste cette année-là au jugement de Marbode, à Rennes, et accompagne ensuite Raoul dans son pèlerinage à Rome. En 1107, c’est à lui que Raoul confie la tâche de remettre l’église Sainte-Marie entre les mains de Marbode, conformément à l’injonction du légat Gérard. La relation privilégiée entre Raoul de Fougères et les chanoines apparaît plus encore derrière l’une des conditions du transfert de l’église Sainte-Marie que la notice de Marmoutier d’après 1120/1123 se garde bien d’évoquer : les anciens chanoines ont en effet eu la possibilité de conserver leur vie durant l’usufruit de leurs prébendes [82]. Ainsi Damarhoc décide-t-il seulement longtemps après, avant 1124, et en raison de conflits récurrents avec les moines de la Trinité, de se démettre de sa prébende en échange soit de sa réception comme moine à Marmoutier, soit d’une retraite dans l’une des maisons qui se trouvaient dans la curia de l’abbaye (acte n° 6). Le coût de l’offensive pastorale des moines grégoriens semblait sans doute excessif pour des hommes proches du seigneur et qui surent avoir son oreille. En dépit de ce qu’avance la notice d’après 1120/1123, après l’échec de la donation à Saint-Florent, Raoul de Fougères a du laisser la dotation de l’église Sainte-Marie entre les mains des anciens chanoines et en particulier de Damarhoc.
D’autre part, après l’avoir favorisé, Raoul semble avoir peu à peu nourri une certaine inquiétude vis-à-vis du pouvoir croissant des moines de la Trinité à Fougères. C’est sans doute la raison principale qui l’a poussé à s’adresser à d’autres moines, ceux de Saint-Florent. Car le conflit qui oppose Raoul aux moines de Marmoutier ne traduit en rien une hostilité de [p. 128] principe à l’Église, voire un manque de piété. En 1112-1113, mais le projet en avait sans doute été conçu dès les années 1108-1110, Raoul fonde au nord de ses domaines, sur un de ses fiefs normands, l’abbaye de Savigny, dirigée par l’ancien ermite Vital, ancien protégé des comtes de Mortain, dont les Fougères étaient proches jusqu’à la bataille de Tinchebray [83].
Pour sortir d’une relation trop exclusive et trop inégalitaire à ses yeux avec les moines de Marmoutier, Raoul de Fougères a donc eu recours à une logique de substitution monastique. Il s’est d’abord tourné vers l’abbaye de Saint-Florent, mais l’opération avorte rapidement tant l’emprise de Marmoutier à Fougères est déjà trop puissante. Il s’est ensuite détourné de Fougères en fondant dans la lointaine forêt de Savigny, avec le soutien de l’évêque d’Avranches et d’Henri Ier Beauclerc [84], une abbaye d’un nouveau genre, relevant d’une spiritualité nouvelle, plus ascétique et d’origine érémitique ; une nouvelle fondation dont Raoul suppose sans doute que son développement ne menacera guère ses centres castraux [85] ; une nouvelle fondation à laquelle il confie surtout la tâche d’œuvrer pour le salut de son âme, car il est probable que Raoul ait choisi d’y reposer peu après 1113. Son fils Henri poursuit son œuvre en multipliant les donations et en élisant sépulture à Savigny en 1150, après avoir revêtu l’habit ad succurrendum [86].
La renaissance des chanoines de Fougères : sortie de crise et via media
Henri semble surtout avoir obtenu plus de succès que son père dans la résistance à l’emprise de Marmoutier à Fougères même, où l’on assiste à un étonnant renversement de situation. En effet, en 1116, une nouvelle lettre [p. 129] de Pascal II adressée à l’évêque Marbode prend le contre-pied des décisions du concile de Nantes de 1107 et de la bulle de confirmation de 1112 en donnant raison aux « clercs de Sainte-Marie de Fougères » et en dégageant l’église de toute calumnia entreprise par les moines de Marmoutier [87]. Les motifs de cette décision nous demeurent inconnus, tout comme le rôle qu’a pu joué dans l’affaire le nouveau seigneur de Fougères. Mais la bulle nous apprend deux choses : d’abord qu’un groupe de clercs est demeuré actif à Fougères ; ensuite qu’il a su défendre sa cause avec succès auprès des plus hautes autorités de l’Église [88]. Les actes du prieuré de la Trinité ne permettent pas d’en savoir plus. La notice d’après 1120/1123 occulte complétement ce retournement et se limite au récit des événements jusqu’en 1107. Sans doute sa rédaction avait-elle d’ailleurs pour objet de tenter d’obtenir de la papauté un troisième arbitrage qui soit à nouveau favorable aux moines. On s’expliquerait mieux certaines manipulations auxquelles elle procède, à commencer par l’attribution à Main II de la donation de l’église Sainte-Marie. Les moines de Marmoutier ne sont cependant pas parvenus à leurs fins.
En effet, en 1143, à la demande d’Henri de Fougères, les moines de l’abbaye de Pontlevoy ont accepté de concéder aux « chanoines de Fougères » le burgus de Rillé, déjà entouré d’une palissade et d’un fossé, situé sur la colline au nord du château de Fougères, de l’autre côté du Nançon, pour y construire une église et un cimetière [89]. La nouvelle église, dédiée à Saint-Pierre, a rang de nouvelle paroisse même si elle reste par certains droits attachée à l’église-mère de Lécousse [90]. En échange, les moines de Pontlevoy ont reçu quelques biens, dont l’église Saint-Nicolas du bourg neuf, que les Fougères avaient donc conservé aux dépens des moines de la Trinité, de même qu’ils avaient conservé l’église Sainte-Marie. Une charte récapitulative de Raoul II de Fougères, que l’on peut dater des années 1150-1157, nous apprend que parallèlement à l’acquisition de Rillé les chanoines de Fougères et l’église Sainte-Marie sont passés du « statut séculier » à la « norme des chanoines réguliers » – c’est-à-dire à la régularité augustinienne – et qu’après [p. 130] le décès d’Henri, en 1150, une fois la construction de l’église Saint-Pierre achevée, la communauté canoniale régularisée s’est installée à Rillé [91].
La charte de 1150-1157 manifeste avec éclat le renouveau de la communauté canoniale et le soutien dont elle dispose de la part des seigneurs de Fougères. En préambule, Raoul II rappelle les aumônes de tous ses ancêtres depuis Alfred, père de Main II, en faveur de l’église Sainte-Marie et des anciens chanoines séculiers, plaçant explicitement la nouvelle abbaye dans la continuité de l’ancienne communauté castrale [92]. Puis il évoque la cérémonie de bénédiction du premier abbé, Gautier d’Alion, au cours de laquelle, après l’évangile de la messe et en présence du prieur de Savigny, de l’archidiacre de Rennes et de très nombreux chevaliers, bourgeois et paysans de Fougères et des environs, lui et ses frères ont solennellement déposé sur l’autel de l’église Saint-Pierre toutes les anciennes chartes de l’église Sainte-Marie et le psautier de maître Hamon de Saint-Hilaire (sans doute un ancien chanoine). Ce rituel fut suivi d’une autre donation de la part de la mère de Raoul II, Oliva de Penthièvre. La charte se conclut par le rappel de la promesse faite par Raoul II à son père Henri, alors mourant, en forêt de Fougères, de toujours assurer la défense et la garde de l’abbaye Saint-Pierre [93]. La nouvelle abbaye de chanoines réguliers Saint-Pierre de Rillé, qui possède et dessert toujours l’église castrale Sainte-Marie, est bien devenue aux yeux des seigneurs le principal sanctuaire de Fougères, aux dépens du prieuré de la Trinité. Dans leurs actes, les abbés de Rillé s’intitulent d’ailleurs toujours « abbés de Fougères [94] ». Enfin, si l’on en croit le bénédictin du Paz, auteur au début du XVIIe siècle de travaux sur les grandes familles de Bretagne, l’abbaye de Rillé aurait été en possession d’un nécrologe où avaient été inscrits les noms de tous les seigneurs de Fougères depuis Main II [95] : si les corps de ces derniers reposaient ailleurs, [p. 131] au prieuré Saint-Sauveur-des-Landes ou dans l’abbaye de Savigny, les chanoines avaient apparemment à cœur de conserver la mémoire et de favoriser le salut de ceux qui avaient œuvré à leur survie.
Du point de vue des moines, l’histoire du prieuré de la Trinité de Fougères peut donc apparaître comme celle d’un demi-échec. En s’engageant dans le combat pour la réforme de l’Église, en recherchant le monopole des lieux de culte et la purification du corps ecclésiastique selon les normes grégoriennes, les moines de Marmoutier n’ont guère gagné en puissance ou en rayonnement au regard de leur situation de départ, au moment de leur implantation, même s’ils ont commencé à réduire le champ des prérogatives aristocratiques en matière ecclésiastique. Cela, car ils se sont heurtés à des seigneurs et des clercs fermement attachés aux pratiques sociales et religieuses traditionnelles et hostiles à leur remise en cause brutale. Dans le même temps, les relations entre seigneurs et religieux se sont à l’évidence complexifiées. Le conflit a fait sortir les rapports entre seigneurs, chanoines et moines d’une situation qui reposait sur l’étroite imbrication des dimensions « profane » et « sacrée » au sein de la seigneurie châtelaine. Les seigneurs ont perdu le contrôle de la plupart des églises et leur emprise sur le petit groupe de clercs dévoués à leur service. Ils se sont engagés vis-à-vis d’une pluralité de communautés, chacune relevant d’une spiritualité et de pratiques sociales, religieuses, voire économiques sensiblement différentes.
Parmi ces communautés, ce sont les ordres nouveaux, moines de Savigny bientôt intégrés à Cîteaux et chanoines réguliers à Rillé, pourtant purs produits de la réforme, qui surent retisser avec les seigneurs de Fougères des liens socio-religieux étroits et dynamiques. Expliquer cet apparent paradoxe nécessiterait une étude approfondie, mais deux éléments y ont certainement contribué, qui illustrent la perpétuation, au moins sur le plan idéologique, de modes de relations traditionnels entre clercs et laïcs. Tout d’abord, en restant le fruit de la volonté des seigneurs eux-mêmes, les nouveaux établissements de Savigny et de Rillé permettent à ces derniers de perpétuer le geste de la fondation ecclésiastique, si nécessaire au pouvoir et à l’ethos aristocratiques. Ensuite, en acceptant, même sous une forme limitée, l’expression d’un pouvoir protecteur de la part du seigneur – la custodia pour Rillé par exemple –, ils continuent de reconnaître aux puissants laïques une forme de prérogative spécifiquement ecclésiale, certes de plus en plus réduite.
L’histoire de l’implantation des moines de Marmoutier à Fougères fournit cependant un autre enseignement. Elle montre que les dossiers documentaires élaborés par les moines au sujet de leurs dépendances, assez longtemps après les premières donations, prennent en grande partie leur sens dans un contexte idéologique très marqué, commémoratif ou polémique. En l’occurrence le dossier de Fougères porte témoignage de l’émergence d’un nouvel horizon ecclésiologique, tout en laissant entrevoir les [p. 132] résistances et les adaptations que celui-ci suscite au sein de la société. Derrière la collecte archivistique et le travail ambigu de remémoration, se dégage une intentionnalité qui rapproche ces dossiers, demeurés à l’état de petits chartriers [96], des sections d’ouverture des cartulaires monastiques, souvent élaborées de manière plus cohérente et à une autre échelle [97]. Cette intentionnalité à l’œuvre, qui peut aller jusqu’à expliquer la nature même de certains documents, tels la notice de fondation ou le récit des moines Foulques et Albert [98], enrichit à l’évidence l’intérêt historique de ces dossiers, au-delà de l’intérêt propre à chacune des pièces qui les compose. Mais elle doit dans le même temps inciter à la prudence qui entend y rechercher des éléments factuels censés rendre compte des conditions d’une implantation monastique.
[1] Gantier, Odile, « Recherches sur les possessions et les prieurés de l’abbaye de Marmoutier du XIe au XIIIe siècle », Revue Mabillon, t. 53, 1963, p. 93-110, 161-167 ; t. 54, 1964, p. 15-24, 56-67, 125-135 ; t. 55, 1965, p. 32-44, 65-79.
[2] Voir les cas bien étudiés de Vitré : Pichot, Daniel, « Vitré au Xe-XIIIe siècle : naissance d’une ville », à paraître dans le volume des Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne (MSHAB) sur Vitré et sa région, en septembre 2006 ; – Bellême : Louise, Gérard, La seigneurie de Bellême, Xe-XIIe siècle, Le Pays bas-normand, 1990-1991 ; – Laval : Legros, Sébastien, Bernard, Vincent, Goussset, Jean-Michel, et Le Digol, Yannick, « Autour de Saint-Martin : prieuré, bourgs et habitats lavallois au Moyen Âge », La Mayenne : archéologie, histoire, t. 26, 2003, p. 5-175. Et plus généralement pour l’Anjou et la Touraine : Zadora Rio, Elisabeth, « Bourgs castraux et bourgs ruraux en Anjou aux XIe-XIIe siècles », dans Château et peuplement en Europe occidentale du Xe au XVIIIe siècle, Flaran 1, Auch, 1980, p. 173-180 ; et Lorans, Elisabeth, « Bourgs, églises et châteaux en Touraine aux XIe et XIIe siècles », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest (désormais abrégé ABPO), t. 97, 1990, p. 437-461.
[3] On sait que le terme de prieuré (prioratus) et le statut juridique auquel il renvoie ne se diffusent qu’au cours du XIIe siècle : Bautier, Anne-Marie, « De prepositus à prior, de cella à prioratus : évolution linguistique et genèse d’une institution (jusque 1200) », dans Lemaître, Jean-Loup (dir.), Prieurs et prieurés dans l’Occident médiéval, Paris, 1987, p. 1-21 ; dom Oury, Guy-Marie, « Les statuts des prieurés de Marmoutier (XIIIe-XIVe siècle) », Revue Mabillon, t. 60, 1981, p. 1-16. À Fougères on rencontre le terme obedientia en 1092 et cella en 1096 ; prioratus n’apparaît qu’en 1212.
[4] Voir le cas breton : Chédeville, André et Tonnerre, Noël-Yves, La Bretagne féodale, XIe-XIIIe siècle, Rennes, 1987, p. 392-413 ; ou tourangeau : Lorans, Elisabeth, « Bourgs, églises… » art. cit. Rares sont les études archéologiques systématiques à ce sujet : voir cependant Garrigou-Grandchamp, Pierre, Guerreau, Alain, Salvêque, Jean-Denis, « Doyennés et granges de l’abbaye de Cluny. Exploitations domaniales et résidences seigneuriales monastiques en Clunisois du XIe au XIVe siècle », Bulletin monumental, t. 157/1, 1999, p. 71-113 ; Reynaud, Jean-François (dir.), Espaces monastiques ruraux en Rhône-Alpes, Documents d’archéologie en Rhône-Alpes et en Auvergne n° 23, Lyon, 2002 ; et, dans ce volume, la présentation d’un programme charentais par Cécile Treffort.
[5] Pour le monachisme traditionnel, voir les nombreux exemples fournis par Remensnyder, Amy, Monastic foundation legends in medieval southern France, Ithaca-Londres, 1996 ; pour le nouveau monachisme, voir Locatelli, René, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon, v. 1060-1220, Saint-Etienne, 1992, p. 222-227, et Mazel, Florian, La noblesse et l’Église en Provence, fin Xe-début XIVe siècle, Paris, 2002, p. 341-344 ; pour les prieurés, voir dans ce volume l’article de Laurent Ripart.
[6] Voir le cas de Vitré : Pichot, Daniel, « Vitré au Xe-XIIIe siècle… », art. cit.
[7] Sur ce point particulier, voir Chédeville, André, « La guerre des bourgs. Concurrence châtelaine et patrimoine monastique dans l’ouest de la France (XIe-XIIe siècle) », dans Campagnes médiévales. L’homme et son espace. Études offertes à Robert Fossier, Paris, 1995, p. 501-512.
[8] Constable, Giles, « Monasticism, lordship and society in the twelfth century Hesbaye : five documents on the foundation of the cluniac priory of Bertrée », Traditio, t. 33, 1977, p. 159-224.
[9] Guillot, Olivier, Le comte d’Anjou et son entourage au XIe siècle, Paris, 1972, p. 173-193.
[10] La Borderie, Arthur (de) et Labigne-Villeneuve, Paul de, « Documents inédits sur l’histoire de la Bretagne. Chartes du prieuré de la Sainte-Trinité de Fougères », Bulletin archéologique de l’Association bretonne, 1851, p. 178-199, et 1852, p. 236-250. Les plus anciens de ces actes font l’objet d’une nouvelle édition et d’une traduction dans le présent volume. C’est à celles-ci que renvoient les indications in texto (actes n° 1 à 7).
[11] Les pages 153-154 de Chédeville, André et Tonnerre, Noël-Yves, La Bretagne féodale…, op. cit., consacrées à cette famille sont assez vieillies.
[12] Guillotel, Hubert, Les actes des ducs de Bretagne (944-1148), thèse dactyl., Université de Paris II, 1973, n° 47 : Elemosynam itaque Mainonis avi mei, quam post ejus ab hanc luce decessum Alfridus genitor meus ut hujus beneficii particeps efficeretur auctoritate sua firmavit, ego in linea jam tertia positus non tantum annuens firmo verum etiam ut incrementum capiat ex propria portione procuro.
[13] Acte perdu, édité (mal) dans Dom Morice, Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire civile et ecclésiastique de Bretagne, Paris, 1742-1746, c. 606-607 : Ego Radulfus Filgeriensis … omnes elemosinas quas mei antecessores, videlicet Aufredus de Filgeriis et Maino proavus meus et Aaledis uxor sua, et Radulfus avus meus dederunt … L’auto-conscience lignagère semble alors s’appuyer sur la possession de « vieilles chartes » qui remontent au plus haut à Raoul, fils de Main II (sicut in veteribus cartis Radulfi mei avi plenarie continentur).
[14] Guillotel, Hubert, Les actes des ducs…, op. cit., n° 10, 13, 19.
[15] Ibidem, n° 47.
[16] Ibid., n° 52 ; pour la fixation de la frontière, voir Brand’honneur, Michel, Manoirs et châteaux dans le comté de Rennes. Habitat à motte et société chevaleresque (XIe-XIIe siècles), Rennes, 2001, p. 109-110.
[17] Guillotel, Hubert, Les actes des ducs…, op. cit., n° 46, 48, 49. Pour les possessions à Laignelet, dans la forêt de Fougères, voir la notice récapitulative, rédigée vers 1106-1112/1113, mentionnant plusieurs donations effectuées par Adélaïde et Raoul de Fougères en faveur de l’abbaye d’Évron, dans le Maine : arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2 G 143/1-3 (copie de 1614).
[18] Cartulaire du Mont-Saint-Michel, fac-similé, Le Mont Saint-Michel, 2005, f° 62 v°-63 v° (éd. dans Dom Morice, Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves…, op. cit., c. 398) : droits de Main de Fougères sur les églises de Poilley et Villamée, en Coglès ; Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 6H 33, n° 3. Ces biens semblent avoir été acquis aux dépens des anciens viguiers, dont la lignée s’efface (Brand’honneur, Michel, Manoirs et châteaux…, op. cit., p. 113).
[19] La Borderie, Arthur (de) et Labigne-Villeneuve, Paul de, « Documents inédits… », art. cit., 1851, n° VIII, p. 192-193 : Radulfus videlicet Filgeriacensis castelli dominus (acte de l’évêque Marbode de Rennes).
[20] Guillotel, Hubert, Les actes des ducs…, op. cit., n° 46 (1040-1045/1047) : in castro Filgeria. Ibid., n° 47 (1040-1047), 50 (1040-1047) et 52 (1040-1047) : Mainonis de Filgeriis parmi les souscripteurs.
[21] Par exemple, l’acte n° 2.
[22] Guillotel, Hubert, Les actes des ducs…, op. cit., n° 24, 46, 47, 48, 49, 50, 52.
[23] Ibidem, n° 46, 47, 48, 49. Conan II soutient aussi la fondation du prieuré de Saint-Sauveur-des-Landes en abandonnant aux moines son frumentagium sur tous les hommes du Vendelais (ibid., n° 68).
[24] Ibid., n° 46 (1040-1045/47 : après le comte Conan, la comtesse Berthe, le comte Eudes, le comte Mathias et l’évêque de Nantes Gautier), 47 (1040-1047 : après le comte Conan et le comte Eudes), 49 (1040-1047 : après les comtes Conan et Eudes), 50 (1040-1047 : après les comtes Conan et Eudes).
[25] Ceux-ci détiennent encore certains droits en Vendelais dans les années 1060 (ibid., n° 68).
[26] Brand’honneur, Michel, Manoirs et châteaux…, op. cit., p. 112-113, fait de Conan II « l’instigateur » d’une restructuration complète du nord-est du Rennais au profit de Main II de Fougères. Outre quelques points fragiles dans le détail de la démonstration (par exemple la datation du site défensif de Villavran en Louvigné ne repose au final que sur des éléments morphologiques), la conception quasi administrative du pouvoir comtal sur laquelle elle s’appuie n’est guère recevable au regard des acquis de l’historiographie récente.
[27] Adélaïde a épousé Main II en secondes noces et avait de son premier mariage un fils nommé Hugues, tôt disparu de la documentation (Guillotel, Hubert, Les actes des ducs…, op. cit., n° 50 : Hugonis filiastri Mainonis). Les noms des fils qu’elle eut avec Main II manifestent de manière très nette un profond renouvellement du patrimoine onomastique des Fougères : les anciens noms Main et Alfred sont abandonnés au profit d’Eudes, Juhel et Raoul. Certains d’entre eux sont à l’évidence des nouveaux noms issus de la famille d’Adélaïde et leur adoption témoigne de la nature hypergamique de l’union de Main II. Eudes a même été attribué à l’aîné, aux dépens du nom du grand-père paternel (en l’occurrence Alfred) comme c’était plutôt l’usage, indice du prestige particulier attribué à ce nomen. Or Eudes est un nom assez rare en Bretagne : au début du XIe siècle, il est porté dans la première maison vicomtale de Rennes (qui s’éteint alors) et chez les comtes de Rennes, où il est associé à Juhel (Chédeville, André et Tonnerre, Noël-Yves, La Bretagne féodale…, op. cit., p. 36). Adélaïde lui-même, un nom à l’honneur dans les familles princières franques et germaniques des Xe-XIe siècles, est apparenté à Adèle, porté chez les filles de la maison de Rennes. Ce nom est issu du mariage de Conan Ier avec Ermengarde dans la deuxième moitié du Xe siècle, c’est-à-dire de l’alliance de la maison de Rennes avec la maison comtale d’Anjou, chez laquelle on rencontre des Adèle (nom de la mère d’Ermengarde, Adèle de Vermandois) et des Adélaïde. Le comte Eudes a lui-même par ailleurs une fille nommée Adèle (Brunterc’h, Jean-Pierre, « Geoffroy Martel… », art. cit., p. 312-313). À ces arguments anthroponymiques, s’ajoute la place exceptionnelle, déjà soulignée, attribuée à Main II, Adélaïde et leurs fils Eudes et Juhel (Raoul est encore enfant) dans les listes de souscriptions des actes comtaux à l’époque d’Eudes et Conan II. Si Adélaïde est bien la fille du comte Eudes et donc la cousine de Conan II, cette place s’explique aisément : Main II ne serait pas seulement un des principaux fidèles des comtes, parmi d’autres, mais un proche parent. Enfin, une telle parenté expliquerait la relation privilégiée qui semble unir Adélaïde à l’évêque de Rennes Main, un proche des comtes, comme le rôle que lui attribuent les moines de Marmoutier dans la fondation de la Trinité (voir infra).
[28] Chédeville, André et Tonnerre, Noël-Yves, La Bretagne féodale…, op. cit., p. 41-43, 159-161 ; Brunterc’h, Jean-Pierre, « Geoffroy Martel, Conan II et les comtes bretons Eudes et Hoël de 1055 à 1060 », dans Mondes de l’ouest et villes du monde. Mélanges en l’honneur d’André Chédeville, Rennes, 1998, p. 311-324.
[29] Brand’honneur, Michel, Manoirs et châteaux…, op. cit., p. 114-116. Sur l’engagement des Dol-Combourg entre 1052 et 1064, voir aussi Guillotel, Hubert, « Combour : proto-histoire d’une seigneurie et mise en œuvre de la réforme grégorienne », dans Keats-Rohan, Katherine S. B. (éd.), Family trees and the roots of politics. The prosopography of Britain and France from the 10th to the 12th century, Woodbridge, 1997, p. 269-298. Voir déjà Musset, Lucien, « Aux origines de la féodalité normande : l’installation par les ducs de leurs vassaux normands et bretons dans le comté d’Avranches », Revue historique de droit français et étranger, 1951, p. 150.
[30] Fauroux, Marie, Recueil des actes des ducs de Normandie (911-1066), Caen, 1961, n° 160 et 161, vers 1050-1056/57 (la datation de ces deux actes proposée par Marie Fauroux doit être corrigée en raison de la présence du vicomte Néel, exilé en Anjou de 1056/1057 à au moins 1060 : voir Brunterc’h, Jean-Pierre, « Geoffroy Martel… », art. cit., p. 314-315) ; ibid., n° 163, vers 1050-1055/56 (datation corrigée en fonction de la présence de Guillaume, comte de Mortain, déposé en 1055/1056 au profit de Robert, demi-frère utérin du duc Guillaume). Voir aussi l’indication d’un domaine tenu par les Fougères, à proximité de Mortain, dans l’acte de dotation de la collégiale castrale de Mortain, dédiée à Saint-Evroult, par le comte de Mortain, en 1082, édité par Boussard, Jacques, « Le comté de Mortain au XIe siècle », Le Moyen Âge, t. 58, 1952, p. 253-279, ici p. 263. Certains des biens frontaliers des Fougères peuvent avoir été entre leurs mains avant la poussée normande des années 1024-1030, auquel cas leur possession aurait seulement été confirmée par le duc Guillaume. Leurs domaines autour de Mortain et Hudimesnil résultent bien, en revanche, d’une véritable inféodation.
[31] D’après Robert de Torigny, qui omet toutefois le nom propre de l’épouse de Raoul : van Houts, Elisabeth M. C., The Gesta Normannorum ducum of William of Jumièges, Orderic Vitalis and Robert of Torigni, Oxford, 1995, vol. 2, p. 268-271. Elisabeth Van Houts ne connaît comme filles de Richard de Bienfait qu’Adeliza et Rohais, respectivement mariées à Gautier Tirel et Eudes Steward : elle fait donc l’hypothèse que l’une d’elle s’est remariée avec Raoul de Fougères (ibid., notes 4 et 5). Mais comme plusieurs documents donnent à l’épouse de Raoul le nom d’Avitia (francisé par certains historiens en Havoise) et que leur fils Robert tient à l’évidence son surnom de Giffard de son grand-oncle ou de son arrière-grand père maternels (tous les deux nommés Guillaume Giffard), il faut nécessairement attribuer une troisième fille à Richard de Bienfait. Raoul de Fougères a donc choisi son épouse en Normandie, dans l’entourage ducal. Richard de Bienfait est en effet le fils du comte Gilbert, lui-même fils de Geoffroi comte d’Eu, fils naturel du duc Richard Ier. Cette lointaine parenté avec la famille ducale normande explique certainement l’attribution des noms Guillaume, Henri et Robert aux enfants de Raoul et Avitia.
[32] Juhel agit dans deux actes de 1060 ou peu après : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 6 H 33, pièce 4 (une sorte de pancarte), actes n° 2 (confirmation en faveur du prieuré de Saint-Sauveur-des-Landes, datable de peu après le concile de Tours présidé par le cardinal Étienne : Jutel filius Mainonis de Felgerias, Adelaidis mater ejus parmi les témoins) et n° 3 (id. : Juhel filius Mainonis, Adelais mater ejus, Radulfus puer, Alveredus frater Mainonis parmi les témoins).
[33] Sonrel, Anne, Fougères et Craon : deux grandes familles de haute Bretagne face au pouvoir princier, du milieu du XIe au milieu du XIIe siècle, mémoire de maîtrise, Université de Rennes II, 2004.
[34] Guillotel, Hubert, Les actes des ducs…, op. cit., n° 47.
[35] Acte n° 7 ; Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 6 H 33, n° 2 et 5.
[36] Guillotel, Hubert, Les actes des ducs…, op. cit., n° 46.
[37] Cartulaire du Mont-Saint-Michel, fac-similé, Le Mont-Saint-Michel, 2005, f° 62 v°-63 v°, et supra note 20.
[38] Boussard, Jacques, « Le comté de Mortain… », art. cit., p. 263 (Radulphi Filgeriarum) ; actes n° 2 et 3.
[39] L’idée d’une fondation en 1024, encore trop souvent reprise, est issue d’une historiographie locale fantaisiste ne s’appuyant sur aucun document.
[40] On peut encore renvoyer au vieil article de Lemarignier, Jean-François, « Aspects politiques des fondations de collégiales dans le royaume de France au XIe siècle », dans La vita commune del clero nei secoli XI e XII (Settimana di studio di La Mendola, sept. 1959), Milan, 1962, t. I, p. 19-49. Voir aussi les cas de Vitré (où la collégiale semble résulter d’une fondation des Goranton-Hervé à la fin du Xe siècle : Pichot, Daniel, « Vitré au Xe-XIIIe siècle… », art. cit.) ; de Bellême (Louise, Gérard, « Fondation de la collégiale de l’église Sainte-Marie du château de Bellême [fin Xe siècle-avant 1012] », dans La Normandie de l’an mil, Rouen, 2000, p. 137-147) ; de Mortain (Boussard, Jacques, « Le comté de Mortain… », art. cit.) ; de Sablé et Château-du-Loir (Matz, Jean-Michel, « Collégiales urbaines et collégiales castrales dans le diocèse d’Angers au Moyen Âge », ABPO, t. 108, 2001, p. 5-33). Stricto sensu le terme de collégiale est toutefois anachronique pour le XIe siècle.
[41] Brand’honneur, Michel, Manoirs et châteaux…, op. cit., p. 77-78.
[42] La Borderie, Arthur (de) et Labigne-Villeneuve, Paul de, « Documents inédits… », art. cit., 1852, p. j., n° XVI, p. 236-237.
[43] Bachelier, Julien, Histoire d’une ville médiévale. Naissance de Fougères, XIe-XIIIe siècle, mémoire de maîtrise, Université de Rennes II, 2002.
[44] Les hypothèses de Michel Brand’honneur (Manoirs et châteaux…, op. cit., p. 64-65), essentiellement fondées sur l’ancienneté supposée des vocables des églises, ne sont guère tenables. La dédicace à Sainte-Marie se retrouve à toutes les époques et elle est particulièrement fréquente pour les collégiales castrales fondés aux Xe-XIe siècles (voir, parmi d’autres, les cas de Sainte-Marie de Bellême, fondée peu avant 1012, et de Sainte-Marie de Bécherel, fondée fin XIe/début XIIe siècle). La dédicace à la sainte Trinité n’est pas plus un indice d’ancienneté : Vital de Savigny l’adopte pour sa fondation monastique vers 1108-1113, reprenant la titulature qu’il avait choisie pour sa première fraternité à Mortain à la fin du XIe siècle. On peut aussi rappeler le vocable du prieuré de Marmoutier à Combourg, fondé vers 1064-1066 (Guillotel, Hubert, Les actes des ducs…, op. cit., n° 66 : qui in honorem sanctae Trinitatis est constructus) ou encore la dévotion trinitaire des cisterciens. Enfin, l’église Saint-Léonard n’est mentionnée pour la première fois qu’au milieu du XIIe siècle, alors que les sources sont assez nombreuses pour Fougères dès le début du siècle et nous font connaître l’existence de plusieurs églises. Sous réserve de nouvelles découvertes archéologiques le site de Fougères semble donc se distinguer de celui de Vitré, où les indices d’occupations antérieures sont en revanche nombreux.
[45] Ce nom curieux pourrait faire référence à un anthroponyme ou bien au travail de sarclage nécessaire dans cette zone semi-humide.
[46] À la différence de Vitré où la fondation d’un bourg est impérative.
[47] Sur la régularité de ces inhumations, voir Gantier, Odile, « Recherches sur les possessions… », art. cit., t. 54, p. 132-133. On peut mentionner, dans la région, le cas du prieuré martinien de Marcillé : Hénot, Aurélien, Les moines, le châtelain et les hommes. Le rôle politique et social des prieurés de Marmoutier près de Gahard et dans les seigneuries banales de Fougères et de Vitré (XIe-XIIIe siècle), mémoire de maîtrise, Université de Rennes II, 1998.
[48] Fondateur de l’abbaye de Savigny à la fin de ses jours, il y a sans doute été inhumé. Son fils Henri l’est en tout cas de manière sûre en 1150. Voir infra.
[49] Sur le rôle des comtes dans la fondation de Gahard, voir Hénot, Aurélien, Les moines, le châtelain…, op. cit. Les comtes de Rennes imitent eux-mêmes les comtes de Blois, protecteurs de Marmoutier depuis 982, leurs alliés contre leurs rivaux de Nantes, et leurs parents depuis le mariage d’Alain III avec Berthe de Blois. Vers 1050-1054, Conan II est accueilli à Marmoutier et reçu dans la société de prières des moines alors qu’il se rend chez son oncle Thibaud III, comte de Blois (Dom Morice, Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves…, op. cit., c. 408-409).
[50] Acte n° 7 : proprio mercatus sui loco […] quandam terram de dote ipsius.
[51] Farmer, Sharon, « Persuasive voices : clerical images of medieval wives », Speculum, t. 61, 1986, p. 517-543 ; Mac Namara, Jo Ann, et Temple, Suzanne, « The power of women through the family in medieval Europe, 500-1100 », dans Women and power in the middle ages, M. Erler et M. Kowaleski (éd.), Athens (EU), 1988, p. 83-101.
[52] On ne peut pas en dire autant de la notice d’après 1120/1123 (acte n° 5) : l’affirmation selon laquelle se serait Main II qui se serait engagé à donner l’église castrale Sainte-Marie aux moines de Marmoutier, avant même que ceux-ci ne soient dotés à Fougères même, a fort peu de chances d’être sincère.
[53] Acte n° 3 daté de 1092 ; voir infra.
[54] La possession initiale ou très précoce de l’église est confirmée par l’acte n° 4.
[55] On peut aussi mentionner les droits de pêche sur le Nançon.
[56] La consécration de l’église et du cimetière a peut-être donné lieu à la rédaction d’un acte.
[57] C’est dans les mêmes années que le terme prior se rencontre à Saint-Sauveur (1092-1096), Vitré (1084-1100), Gahard (v.1120). Il faut en revanche attendre 1207 pour voir le terme de prioratus utilisé dans la région (pour Vitré). Voir Hénot, Aurélien, Les moines, le châtelain…, op. cit., p. 55-59).
[58] La Borderie, Arthur (de) et Labigne-Villeneuve, Paul de, « Documents inédits… », art. cit., 1851, n° X, p. 195-196 (donation des dîmes d’Hudimesnil vers 1089-1092), XII, p. 197 (donation d’un certain Juhal du tiers de l’église de Romagné). Raoul est aussi intervenu pour faciliter l’abandon de calumnia de ses fidèles en faveur de la Trinité de Fougères (ibid., n° XI, p. 196 ; acte n° 2).
[59] Les actes nous font connaître six moines vers 1092-1096. La charte de fondation du prieuré de Vitré prévoyait l’installation de douze moines.
[60] Bourde de la Rogerie, Henri, « L’ancienne église du prieuré de la Trinité de Fougères », Bulletin et mémoires de la société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, t. 49, 1922, p. 293-308. L’église, élevée entre la fin du XIe et le milieu du XIIe siècle, faisait plus de 50m de longueur, soit l’équivalent des églises abbatiales de Landévennec ou Saint-Gildas-des-Bois.
[61] Cet objectif se retrouve aussi à Vitré entre 1104 et 1120 (voir Hénot, Aurélien, Les moines, le châtelain…, op. cit.). Sur la politique d’acquisition des églises paroissiales menée par Marmoutier, voir Gantier, Odile, « Recherches sur les possessions… », art. cit., t. 54, p. 127-132. Il en va de même à Saint-Aubin d’Angers (voir l’exemple de Durtal présenté par Matz, Jean-Michel, « Collégiales urbaines… », art. cit., p. 8-9).
[62] C’est le cas par exemple à Rillé en 1063 et Sablé en 1067 en Anjou ; à Saint-Léonard de Bellême en Normandie, cette même année 1092.
[63] Cette construction est sans doute récente puisque s’en est la première mention.
[64] On l’a vu, selon la notice de 1113-1124, le bourg Chevrel aurait été donné dès la fondation par Adélaïde ; peut-être s’agit-il ici seulement d’une confirmation, comme semble l’indiquer l’encouragement à développer le bourg qui devait végéter ?
[65] Les conceptions eucharistiques d’inspiration augustinienne de Bérenger, écolâtre de Saint-Martin de Tours, font l’objet de la réprobation de Lanfranc, abbé du Bec, et de condamnations répétées aux conciles de Rome, Verceil et Brionne en 1050, Tours en 1054, Poitiers en 1075 et Bordeaux en 1080, ainsi qu’à l’occasion d’une assemblée d’évêques à Angers en 1062. La bulle de Léon IX de 1059 affirme que « le pain et le vin sont le vrai corps et le vrai sang du Christ, qu’ils sont physiquement pris et vraiment mangés par les fidèles ». Sur la très grande importance de cette querelle, voir dernièrement Rubin, Miri, Corpus Christi. The eucharist in late medieval culture, Cambridge, 1992 ; et Rauwel, Alain, « Théologie eucharistique et valorisation de l’autel à l’âge roman », Hortus artium medievalium, t. 11, 2005, p. 177-182.
[66] On peut notamment mentionner l’échec à Nantes de l’évêque Airard, ancien moine de Saint-Paul-hors-les-murs (Guillotel, Hubert, « La pratique du cens épiscopal dans l’évêché de Nantes. Un aspect de la réforme ecclésiastique en Bretagne dans la seconde moitié du XIe siècle », dans Le Moyen Âge, t. 80, 1974, p. 5-49), ou les difficultés de Robert d’Arbrissel, obligé de fuir le diocèse de Rennes après la mort de l’évêque Silvestre (Dalarun, Jacques, L’impossible sainteté. La vie retrouvée de Robert d’Arbrissel, v. 1045-1116, fondateur de Fontevraud, Paris, 1985, p. 151).
[67] Elle se placerait alors au tout début des années 1090 puisqu’en 1092 Albert est remplacé par Rivallon à la tête de la Trinité de Fougères (acte n° 3).
[68] À Vitré, le devenir de la communauté canoniale pose aussi problème et engage les mêmes protagonistes. Il faudrait examiner de près dans quelle mesure l’affaire de Fougères n’a pas influencé l’action de Marbode à Vitré en 1116.
[69] Les Fougères avaient déjà favorisé auparavant une autre abbaye que Marmoutier, l’abbaye d’Evron, dans le bas Maine, en lui donnant, entre 1064 et 1076, deux églises (Saint-Martin du Bois et Saint-Martin de Laignelet), des droits ecclésiastiques et des terres à Laignelet, dans la forêt de Fougères (voir note 17). Cette abbaye, presque entièrement dépourvue de sources avant 1125, semble toutefois avoir eu des liens étroits avec Marmoutier : l’abbé Daniel (après 1106-1143), proche de l’évêque du Mans Hildebert de Lavardin et artisan du renouveau de l’abbaye au début du XIIe siècle, est issu de l’abbaye tourangelle.
[70] Voir l’article de Jérôme Beaumon dans ce volume.
[71] Guillotel, Hubert, « Combour : proto-histoire d’une seigneurie… », art. cit.
[72] Livre blanc de l’abbaye Saint-Florent de Saumur, Archives départementales du Maine-et-Loire, H 3713, f° 61-61 v°.
[73] La Borderie Arthur (de) et Labigne-Villeneuve, Paul de, « Documents inédits… », art. cit., 1851, n° VIII, p. 192-193, et VIIIbis p. 193-194.
[74] Sur Marbode, voir Degl’Innocenti, Antonella, L’opera agiografica di Marbodo di Rennes, Spolète, 1990, p. 3-18, avec la bibliographie antérieure.
[75] Pour des exemples voisins d’usage de l’argent, voir Gantier Odile, « Recherches sur les possessions… », art. cit., t. 54, p. 49.
[76] Ce concile traite aussi d’une autre affaire bretonne, de bien plus grande ampleur : la question du siège métropolitain de Dol.
[77] Pascal II est passé par Marmoutier en mars 1107 (Cartulaire de l’abbaye de Noyers, Tours, 1860, n° 357).
[78] Des églises dit la notice : peut-être les moines entendaient-ils par là les églises relevant de la dotation de Sainte-Marie, c’est-à-dire l’église de Bazouge (et l’église Saint-Nicolas de Fougères ?).
[79] Sur la légation de Gérard dans l’ouest, voir Foulon, Jean-Hervé, La réforme de l’Église dans la France de l’ouest de la fin du XIe au milieu du XIIe siècle. Ecclésiologie et mentalités réformatrices, thèse dactyl., Université de Paris I, 1998, p. 226-227. C’est Gérard qui consacre Baudri de Bourgueil archevêque de Dol le 25 décembre 1107.
[80] La bulle de 1112 se trouve aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 6 H 16, n° 16 ; elle a été éditée par la Borderie Arthur (de) et Labigne-Villeneuve, Paul de, « Documents inédits… », art. cit., 1851, n° XIV, p. 198-199.
[81] Cette contradiction est vigoureusement dénoncée par les adversaires des grégoriens, par exemple Sigebert de Gembloux.
[82] Une clause de ce type est explicitement accordée aux chanoines de Sablé en 1067 : Prou, Maurice, Recueil des actes de Philippe Ier, roi de France (1059-1108), Paris, 1908, n° 34.
[83] Moolenbroek, Jaap (van), Vital l’ermite, prédicateur itinérant, fondateur de l’abbaye normande de Savigny, édité dans la Revue de l’Avranchin et du pays de Granville, t. 68, n° 346, 1991, p. j. n° 2 (1113), 10 (v. 1108-1113), 12 (v. 1113-1120). Sur la fondation de Savigny, voir aussi : Pichot, Daniel, « Savigny : une abbaye entre Normandie, Bretagne et Maine », à paraître dans Bretons et Normands au Moyen Âge, colloque de Cerisy (2005) ; et Hill, Bennett D., « The counts of Mortain and the origins of the norman congregation of Savigny », dans Order and innovation in the Middle Ages. Essays in honor of J. R. Strayer, Princeton, s. d., p. 237-253 (qui comporte toutefois de nombreuses erreurs factuelles).
[84] Moolenbroek, Jaap (van), Vital l’ermite…, op. cit., p. j. n° 1, 2, 3, 8, 11. L’appui du roi-duc s’explique sans doute en partie par son souci de fixer Vital, qui avait été très lié au comte Guillaume de Mortain et à Robert Courteheuse. Après Tinchebray, la fondation de Vital à Mortain avait été dissoute et ses biens rattachés à Saint-Étienne de Caen (ibid., p. j. n° 6).
[85] La fondation a sans doute aussi permis à Raoul d’exclure les ermites de sa forêt de Fougères ; d’après Geoffroy le Gros, rédacteur de la vita de Bernard de Tiron, le seigneur de Fougères aurait chassé celui-ci de sa forêt et aurait fait élever une palissade pour la protéger ; Bernard aurait ensuite été accueilli par Vital en forêt de Savigny (Moolenbroek, Jaap (van), Vital l’ermite…, op. cit., p. 181).
[86] Dom Morice, Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves…, op. cit., c. 605-606 (1150). Son fils Raoul II poursuit l’œuvre de ses père et grand-père (arbitrage en 1155 : ibid., c. 623 ; donation en 1163 : ibid., c. 588 ; mention de plusieurs donations antérieures dans une confirmation de 1179 : Hill, Bennett D. « The counts of Mortain… », art. cit., p. j. p. 249-253).
[87] La bulle de 1116 figure dans le cartulaire de l’abbaye Saint-Georges de Rennes et a été éditée par Labigne-Villeneuve, Paul de, Bulletin et Mémoires de la société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, t. 9, 1875, p. 127-312, ici n° 33, p. 217.
[88] Cette décision est peut-être ce qui a conduit l’évêque de Sées Jean à tenter d’obtenir, dans des conditions voisines, l’abandon par les moines de Marmoutier de l’ancienne église canoniale Saint-Léonard de Bellême en 1124-1127. Mais le légat Gérard d’Angoulême donna ici gain de cause aux moines tourangeaux. Voir Lemarignier, Jean-François, Étude sur les privilèges d’exemption et de juridiction ecclésiastique des abbayes normandes depuis les origines jusqu’en 1140, Paris, 1937, p. 210-213.
[89] Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 1 F 558 (copie d’Arthur de La Borderie) : monachi Pontilevienses canonicis de Filgeriis, rogatus Henrici ipsius castri domini, concesserunt burgum de Risleio sicut fossato et vallo circumdatur, ad ecclesiam et cimiterium faciendum.
[90] Ibidem : …ita ut pro recognitione et recordatione matris ecclesiae, scilicet Excussae, annuatim in festivitate sancti Andrae quinque solidos Andegavensis monetae canonici monachis persolvant.
[91] Acte perdu, édité par Dom Morice, Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves…, op. cit., c. 606-607.
[92] Ibidem : Ego Radulfus Filgeriensis dominus pro Dei amore et mea salute et meorum amicorum et antecessorum dedi et concessi in perpetuam elemosinam ecclesiae sancti Petri et canonicis regularibus de Filgeriis omnes elemosinas quas mei antecessores videlicet Aufredus de Filgeriis et Maino proavus meus et Aaledis uxor sua et Radulfus avus meus dederunt ecclesiae sanctae Mariae de Filgeriis et canonicis saecularibus… En 1163, dans une nouvelle donation à l’abbaye Saint-Pierre de Rillé, on trouve même : Universas possessiones et elemosinas ecclesiae beati Petri de Filgeriis pertinentes ex antecessorum meorum, Aufredi, Manini, Radulphi, Henrici patris mei predicti monasterii constructorum et fundatorum… (acte perdu, ibid., c. 650-653).
[93] Ibid., c. 606-607 : Ibi concedentibus fratribus meis Frangalo et Guillermo omnibus qui aderant audientibus de manu patris mei tenerrime lacrimantis accepi abbatiam sancti Petri cum omnibus suis possessionibus et facultatibus et pertinentiis in perpetua defensione et custodia et libertate omnibus diebus vitae meae.
[94] Ibid. : Hoc audierunt et viderunt Gauterus de Alion, abbas de Filgeriis.
[95] Affirmation attribuée à du Paz rapportée par Dom Morice. Sans doute ce dernier a-t-il trouvé cette information dans le mémoire que Du Paz dit avoir écrit sur la famille de Fougères, mémoire qui n’a malheureusement pas été publié, dont je n’ai pas retrouvé la trace, et qui est brièvement évoqué dans du Paz, Augustin, Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, Paris, 1619 (où aucun chapitre n’est consacré aux Fougères).
[96] Les manuscrits ont conservé sur leur dos les notes manuscrites des archivistes de Marmoutier les rattachant à une cella ou obedientia (« Fougères », « Saint-Sauveur »…). Sur les archives de Marmoutier, voir Barthélemy, Dominique, « Notes sur les cartulaires de Marmoutier au XIe siècle », dans Les cartulaires (table ronde, École des chartes – CNRS, 1991), actes réunis par O. Guyotjeannin, L. Morelle et M. Parisse, Paris, 1993, p. 247-259. Sur les classements de chartriers, voir Declercq, Georges, « Le classement des chartriers ecclésiastiques en Flandre au Moyen Âge », Scriptorium, 1996, p. 331-344, et Pouille, Emmanuel, « Classement et cotation des chartriers au Moyen Âge », op. cit., p. 345-355.
[97] Voir par exemple Chastang, Pierre, Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc (XIe-XIIIe siècle), Paris, 2001.
[98] À l’image de la célèbre notice de Chorges, en haute Provence : voir Mazel, Florian, « Amitié et rupture de l’amitié. Moines et grands laïcs provençaux au temps de la crise grégorienne (milieu XIe-milieu XIIe siècle) », Revue historique, t. 307, 2005, p. 53-95, qui propose une relecture critique de l’analyse effectuée dans un fameux et bel article par Geary, Patrick, « Vivre en conflit dans une France sans État : typologie des mécanismes de règlement des conflits (1050-1200) », Annales ESC, 1986, p. 1107-1133.