Tudchentil

Les sources sur les gentilshommes bretons

L'histoire de Keroulas

Du Moyen Âge à nos jours

Par la famille de Keroulas.

Depuis le Moyen-Âge, le berceau de la famille de Keroulas se trouve au manoir de Keroulas à Brélès, en Pays de Léon. Plus de 6 siècles et près de 20 générations plus tard, cette belle demeure du XVIIe siècle est toujours la résidence de descendants de la famille.

Le manoir de Keroulas conserve de précieuses archives dont les plus anciennes datent de la fin des années 1300. Elles ont permis de remonter aux périodes les plus reculées de l’histoire familiale.

Le nom de famille de Keroulas s’est éteint en Pays de Léon au XVIIIe siècle. Les Keroulas d’aujourd’hui descendent de Ronan Mathurin de Keroulas (1730-1810) qui s’installe vers 1764 au manoir de Tal ar Roz au Juch près de Douarnenez. Sa nombreuse postérité estimée à plus de 5.000 personnes a surtout essaimé au Juch et dans les communes environnantes.

Ce beau livre illustré, travail collectif de plusieurs enfants de la famille, vous invite à plonger dans la destinée des Keroulas, à suivre son évolution au fil des siècles et à découvrir de nombreux épisodes parfois très surprenants.

Le livre est en vente chez l’éditeur aux éditions Récits au prix de 35 €.

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Photo A. de la Pinsonnais (2009).

Un nobiliaire de Bretagne en 1701

Mercredi 30 juillet 2008, texte saisi par Bertrand Yeurc’h.

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Source

Gaston de Carné, Revue de Bretagne et de Vendée, 4e série, 1884, 28e année, 1er semestre, t. V, p. 274-286.

Citer cet article

Gaston de Carné, Revue de Bretagne et de Vendée, 4e série, 1884, 28e année, 1er semestre, t. V, p. 274-286, 2008, en ligne sur Tudchentil.org, consulté le 18 avril 2024,
www.tudchentil.org/spip.php?article521.

I

Dans leur Avis au public pour une nouvelle Histoire de Bretagne [1], Dom Maur Audren et Dom Le Gallois, en exposant le plan de leurs voyages d’explorations, avaient annoncé l’intention « de ramasser, chemin faisant, tout ce qui pouvait servir à donner un Nobiliaire général de la province » - « Je vous diray, écrivait Dom Le Gallois à Gaignières, en 1692, qu’on ne néglige rien ny pour le Nobiliaire, ny pour l’histoire, qu’on prend exactement tous les sceaux et qu’on ramasse tous les nom nobles qu’on trouve [2]. »

Depuis la publication de la Correspondance des Bénédictins par M. de la Borderie, nul n’ignore que Gaignières, dont les conseils étaient écoutés à Redon et au Mans, avait rêvé de grandes choses pour ce Nobiliaire de Bretagne : « Il faut, écrivait-il [3], la description des châteaux de conséquence et les veues et plans ; la suite des seigneurs qui les ont possédez ; … les généalogies des grandes maisons de Bretagne (il faut rectifier du Pas et l’augmenter et y en adjouter d’autres), et pour bien faire les ramasser toutes, afin de choisir après… »

Nous croyons inutile de rappeler que ces projets, si intéressants pour les familles bretonnes, n’ont pas abouti. Dons la lettres qu’il écrivit aux États [4], le 15 octobre 1703, à l’achèvement de son travail, Dom Lobineau disait que Dom Denys Briant avait dressé sur titres un grand nombre de généalogies des plus illustres maisons de la province, et qu’il avait rétabli les catalogues des évêques et des abbés. Ces derniers catalogues ont été publiés par Dom Taillandier ; mais les généalogies des grandes familles de Bretagne ne sont pas venues jusqu’à nous.

Pendant que les Bénédictins recueillaient sur leur route tout ce qui pouvait servir à établir un Nobiliaire, d’autres travailleurs, moins connus et aussi moins savants, étudiaient également les origines et l’histoire de la noblesse bretonne.

Le marquis de Refuge composaient son Nobiliaire de l’évêché de Saint-Pol de Léon ; le chevalier de Kerdaniel dressait les Généalogies des plus illustres maisons de France et préparait son Histoire généalogique de Bretagne [5] ; le marquis de Carcado [6] réunissait de vastes matériaux pour la confection d’un Nobiliaire que la mort ne lui permit pas d’achever. M. l’abbé de Lannion, son beau-frère, travaillait à la composition d’une histoire généalogique de son maison [7] ; M. l’abbé de Gouesson poursuivait dans les anciens titres des aïeux de M. le comte de Boiséon, dont il était chapelain ; le marquis de Molac et le marquis du Bois de La Motte formaient ces collections de mémoires qui ont été utilisés par les auteurs de l’Histoire de Bretagne ; M. de Boisgeffroy [8] employait aux mêmes recherches les loisirs qui lui laissait sa charge au Parlement ; enfin l’abbé de Chefdubois de Kermellec était amené, par ses études sur la noblesse bretonne, à nouer des relations avec Dom Lobineau [9], et à devenir le correspondant fidèle de Dom du Liscoët, qui écrivait, au Mans, ses Mémoires touchant la noblesse de Bretagne.

Le nom de ce religieux n’a peut-être jamais été prononcé jusqu’à ce jour. Le recueil qu’il nous a laissé et qui existe encore à la Bibliothèque nationale, ne le rappelle en rien. En effet, dès qu’il fut possible de mettre un peu d’ordre dans les monceaux de documents que la révolution avait enlevés aux archives des couvents, les manuscrits de Dom du Liscoët, qui sortaient de la bibliothèque bénédictine de Saint-Germain des Prés, furent classés sous le nom de Dom Lobineau ; et ils le portent encore [10].

Adrien-Georges du Liscoët naquit à Paron, près de Fougères, le 19 août 1664, et fut baptisé le lendemain dans la paroisse de Saint-Léonard en cette dernière ville. Il était fils de Jean du Liscoët et de Marie Poisson de Lévaré. Il fit des humanités au collège de Fougères, et sa rhétorique, ainsi que sa philosophie, chez les jésuites de Rennes. Il prit l’habit de moine bénédictin de la congrégation de Saint-Maur dans l’abbaye de Saint-Melaine de Rennes le 14 février 1683 ; et y fit profession le mercredi des cendres 16 février 1684. En 1699, il résidait en l’une des deux abbayes de son ordre dans la ville du Mans ; et il y rédigeait ses Mémoires sur la noblesse bretonne.

Voici comment nous croyons pouvoir reconstituer l’histoire de ses travaux.

A une époque indéterminée, mais sans doute antérieure aux explorations préliminaires de l’histoire de Bretagne, le P. du Liscoët avait obtenu de ses supérieurs la permission de faire des recherches sur la noblesse de la province. On lui avait même fait espérer que le résultat de ses labeurs serait donné au public.

Le jeune religieux s’était mis à la besogne rempli d’ardeur. Il ne s’agissait de rien de moins que de composer un recueil qui embrassait toutes les familles de la noblesse bretonne, et qui, en résumant les travaux des auteurs connus jusqu’à ce jour, ajouterait de nouveaux renseignements à leurs informations et corrigerait leurs erreurs.

Mais le P. du Liscoët appartenait lui-même à l’une meilleures familles de Bretagne ; et il se laissa attarder en chemin à découvrir les pièces concernant sa maison.

Pendant qu’il réunissait les éléments de son histoire généalogique, le grand projet de Dom Audren sur l’histoire de Bretagne avait pris naissance ; et M. de Gaignières, consulté par les bénédictins, avait tracé ce vaste plan de nobiliaire que nous avons rappelé en commençant.

Aussi le P. du Liscoët trouva les dispositions de ses supérieurs bien changées lorsque, touchant au terme de son entreprise il vint réclamer auprès d’eux l’exécution de la promesse qu’ils lui avaient faite de livrer son recueil à la publicité.

L’ensemble de ses Mémoires était instructif et nouveau ; l’histoire généalogique de sa famille, composée sur titres, était intéressant ; mais la réunion de ces modestes matériaux ne répondait plus à l’œuvre grandiose que les bénédictins avaient rêvée. Dom Denys Briant avait marché plus vite que le P. du Liscoët ; la masse de documents qu’il avait recueillis rejetait bien en arrière les travaux de ce dernier, qui fut obligé de renoncer à son espérance.

Lorsqu’il connut la décision de ses supérieurs, le P. du Liscoët éprouva une déception bien naturelle ; et en fit part à ses amis. Il avait des correspondants en Bretagne ; et il les entretenait souvent de ses projets, de ses labeurs et de ses découvertes. Nous avons retrouvé, insérées dans le troisième volume de son recueil, deux ou trois lettres qui lui écrivit, entre 1699 et 1701, M. l’abbé de Chefdubois de Kermellec, l’un de ces chercheurs bretons qui suivaient d’un œil attentif les grands travaux des bénédictins pour l’histoire de Bretagne.

Voici quelques passages ce ces fragment de correspondance ; les premières lignes se rattachent seules à notre sujet ; mais la suite nous a semblé digne d’intérêt, parce que nous y relevons de curieux détail sur des incidents, dans les procès-verbaux du greffe des États de Bretagne nous ont gardé le souvenir :

A Rennes, le 30 décembre 1699.

« J’avois remis, mon Reverend Père, à faire reponse à votre derniere lettre du 10e de ce mois, pour vous souhaitter en mesme temps une bonne année, exempte de tous maux, à quoi vous serez desormais moins sujet, estant separé de ce travail si bien commencé, dont l’avortement seroit fâcheux, mais je crois que le directeur n’est pas d’humeur commode [11] ; ce seroit dommage que le public fust privé du fruit de vos recherches. Il n’y a point de particulier qui fust jamais en état d’entreprendre et achever cet ouvrage. Toutes vos lettres sont remplies de choses fort curieuses qui font beaucoup presumer de vos Memoires, et vous éclaircissez les doutes sous réplique. Il y a eu de grandes altercations (aux Etats) entre M. le duc de Rohan et le marquis de Lannyon [12], celuy soutenant qu’il n’y avoit que le prince de Léon, fils aîné du duc, qui soit en droit de presider, et celui-cy vouant aussi y presider indifferement, et mesme faire presider ses autres enfans ; enfin tous ont presidé à leur tour, et M. de Lannyon, comme baron de Malestroit, et M. le comte de Cossé de la maison de Brissac, beau-frère de notre intendant. Comme les Etats ont coutume de faire des presens à ceux qui ont presidé, cela pourra être à charge à la Province. Je voudroit sçavoir si vos R.P. n’y ont pas fait voir des morceaux de leur histoire… »

Dans la lettre du 30 décembre, dont nous avons plus haut reproduit le début, l’abbé de Chefdubois revient, avec plus de détails, sur le même incident :

« Il y a eu du trouble à l’ouverture des Etats. Monsieur de duc de Rohan se proposoit d’y presider à discretion, mais M. de Lannion, comme baron de Malestroit, l’opposa disant qu’il avoit fait démision de la Principauté de Leon entre les mains de M. son fils aîné qui luy donnoit ce droit là. M. de Rohan dit que c’étoit une démission conventionnelle du consentement des Etats, ce qui n’avoit pas empesché qu’il neût presidé depuis aux Etats. M. de Lannion repliqua que tout cela avoit esté foit en son absence et ne lui pouvoit prejudicier. M. de Rohan le prit plus haut, et dit qu’en 1087 le seigneur de Porhouët, dont il est issu avoit présidé preferablement à tous les autres barons, et qu’au reste M. de Lannion n’etoit seigneur de Malestroit que par acquest et ainsy ne pouvoit pretendre de presider. Celui-cy repliqua qu’il avoit cette baronie par retroit lignager. Enfin M. de Rohan déclara par ecrit qu’il ne prétendoit pas opposer le droit des barons. Ensuite il fut convenu qu’en l’absence du prince de Léon de la Chambre, M. de Rohan présideroit, puis le chevalier de Rohan et M. de Lannion ensuite. Quelqu’un dit à M. de Lannion que quand le chevalier de Rohan auroit présidé une fois, M. le prince de Leon en s’absenteroit plus, et qu’ainsi son rang de présider ne viendroit jamais. Il alla le lendemain, de grand matin, aux Etats, accomagné de quelques gentilshommes, résolu d’empescher qu’aucun autre que luy y présidât à la Noblesse. Il s’assembla plus de cent gentilshommes, chez M. de Rohan ; et il sortoit avec eux pour se rendre aux Etats, lorsque M. de Lavardin et M. le premier Président arrivèrent chez luy, disant qu’il ne se tiendroit point d’Etats ce jour là. Il y voulut faire quelqu’insistance ; mais M. de Lavardin interposa l’autorité du Roy. Il n’y eut point d’Etats ce jour là, et dans la suitte, les choses passèrent comme l’on étoit convenu, c’est à dire que le chevalier de Rohan présida un jour, et M. de Lannion aprèz. Guervasi, ancien ennemi de la maison de Lannion, se distinga, et, en outre, opposant fortement le présent que prétendoit le comte de Cossé, beau-frère de notre Intendant, qui avoit aussi présidé une fois, Guervasi, dis-je, a porté la folle enchère. Il fut arresté par 4 gardes de M. Lavardin, venant à Rennes aprèz les Etats, et a esté conduit au château de Brest. Monsieur l’Evesque de Saint-Brieuc, le comte de Cossé et un conseiller du Présidial de Vennes ont la grande Commission de porter les cahier des Etats au Roy… »

II

La lettre de l’abbé de Chefdubois, en date du 30 décembre 1699, nous a montré que les amis de Dom du Liscoët s’intéressaient vivement à ses travaux. Ils savaient en effet que le jeune religieux ne se contentait pas de dresser un nobiliaire en s’appuyant sur les ouvrages déjà connus et sur les extraits de la Réformation de la noblesse bretonne, dont les arrêts avaient été rendus de 1668 à 1671. Le P. du Liscoët promettait de plus un grand nombre de fragments généalogiques sur les pincipales familles de Bretagne ; et il utilisait dans ce but tous les titres qui tombaient sous sa main. Cette dernière perspective était d’autant plus attrayante pour la noblesse bretonne que l’Histoire des Maisons illustres de du Paz contenait plusieurs erreurs et de nombreuses lacunes.

Le P. du Paz n’était pas le seul qui fût pris en défaut par le P. du Liscoët. Les auteurs héraldiques, ses contemporains, ne trouvaient pas grâce devant lui. Le jeune bénédictin était vif en ses appréciations.

C’est d’abord Le Laboureur [13], qui en telle circonstance s’est trompé grossièrement ; plus loin c’est le P. de Saint-Luc [14] qui a commis une confusion, ce qui luy est assez ordinaire ; ailleurs c’est le P. du Paz [15], déjà nommé, qui ne parle qu’en l’air et sans aporter aucune preuve ; dans un autre passage c’est Gui Le Borgne, l’auteur de l’Armorial breton, qui a fait erreur, ce qui ne luy est que trop ordinaire dans tout le corps de son ouvrage ; enfin c’est le chevalier de Kerdaniel ; mais ce dernier est tellement malmené qu’il nous faut, pour être compris, reproduire en entier le paragraphe qui le concerne :

« Messieurs du nom du Fresnay d’aujourd’hui ont communiqué aux PP. de la Congrégation de Saint-Maur, travaillans à l’histoire de Bretagne, une généalogie de leur maison, tant de la branche aînée qu’autres cadettes, si ridicule que j’aurais honte d’insérer une pièce si sotte et si fausse per totum, dans un recueil que je ne fais que pour m’instruire de la vérité ; c’est aparament l’un des beaux et ordinaire ouvrages du sieur de Kerdaniel, qui, depuis plus de trente ans, gagne sa vie à mentir pour ceux de la noblesse de Bretagne qui se veulent bien repaître de ses imaginations. »

Quant à la science du P. du Liscoët, qui était si sévère pour celle des autres, nous croyons qu’elle s’égarait assez rarement. Nous pourrions cependant citer quelques erreurs graves commises par lui [16] ; mais, en général, ses informations sont sûres.

L’ensemble de son œuvre est d’ailleurs loin d’être sans défauts. L’on pourrait faire un grave reproche à son Nobiliaire. Nous ne savons s’il devait le livrer au public tel qu’il nous l’a laissé ; mais, si son travail était définitif, il eût jeté, en certains points, une véritable confusion dans les esprits. Le P. du Liscoët, en effet, n’avais pas pris la peine de distinguer les nom patronymiques des noms des terres ou seigneuries, sous lesquels les cadets se faisaient habituellement appeler au XVIIe siècle. Cette manière de désigner les branche cadettes des familles bretonnes n’eût pas été un grand inconvénient pour les contemporains ; mais peu d’années après, peut-être, il n’en eût plus été de même.

Etait-ce d’ailleurs bien conforme aux règles qui doivent présider à la confection d’un nobiliaire, d’inscrire les armes de telle ou telle famille à la suite du nom de telle ou telle seigneurie, qui, le lendemain, par un décès ou par un mariage, pouvait passer entre les mains d’un autre propriétaire ? Nous citerons un exemple. La terre de Brescanvel en Brelès, au diocèse de Léon, figure dans le Nobiliaire en son rang alphabétique ; et l’auteur la fait suivre des armes des le Roux [17] qui en étaient seigneurs en 1701 ; mais, quelques années plus tard, Brescanvel passait aux Poulpiquet ; et les armes des le Roux n’était plus qu’un souvenir en regard du nom de cette terre.

Cet élément de confusion se reproduit très fréquemment dans le recueil de Dom du Liscoët ; en sorte que la personne qui voudrait mettre au jour les nombreux détails inédits que nous savons y être contenu, serait obligée de se livrer, pour atteindre son but, à un immense travail d’analyse et d’élimination.

Lorsque son Directeur, comme disait M. de Chefdubois, vint détruire ses projets, le P. du Liscoët n’abandonna pas ses travaux de prédilection ; mais il n’y donna plus ses soins en vue du public. Il nous dit, en 1701, qu’il ne s’occupait de ces questions que pour « s’instruire de la vérité » en cette matière ; et il arrive un temps où il renonce même à transcrire ses recherches pour leur donner une dernière forme.

Des trois volumes qu’il nous a laissés, le premier seul peut être considéré comme définitif. C’est celui qui contient l’histoire généalogique de sa maison. Le P. du Liscoët fait remonter sa famille aux Penthièvre. Nul n’ignore que ce fut une véritable manie chez un grand nombre de familles bretonnes au XVIIe et au XVIIIe siècles. Toutefois, nous n’avons pas à examiner ici sa prétention : elle était peut-être fort légitime. Sa science nous a semblé sérieuse et sa critique habituellement sûre.

Cependant ses confrères, les ouvriers de l’histoire de Bretagne, suivaient avec intérêt la marche de ses études ; et, lorsqu’ils rencontraient un titre se rattachant au but qu’il désirait atteindre, ils le lui envoyaient. Aussi peut-on dire que la généalogie de sa maison a été composée avec leur concours, et qu’elle fut le premier emploi de leurs travaux. Le P. du Liscoët l’a rappelé très souvent à la fin de ses articles, en inscrivant aux sources cette mention que nous avons trouvée fréquemment sous sa plume : Mémoires me communiquez par les Pères de la Congrégation de Saint-Maur travaillans à l’histoire de Bretagne.

L’histoire généalogique de la maison du Liscoët occupe environ 100 feuillets du premier volume. L’auteur entre dans son sujet sans de longs préambules : « Comme nous nous sommes plus particulièrement attachez à la recherche de cette Maison, nous nous étendrons aussy davantage à la décrire, etc. » Il ne se nomme pas ; il semble vouloir détourner l’attention de sa personne ; et, lorsqu’il parle des représentants actuels de sa famille, il les désigne en les appelant « les seigneurs de l’illustre maison du Liscoët. »

Voici comment il termine : « Je finis ces recherches par où j’ay commencé, c’est-à-dire, par prier les seigneurs de la Maison du Liscoët de nous vouloir bien excuser du peu que nous venons de raporter des faits particuliers de cette illustre et ancienne maison, faute d’avoir eu communication entière de leurs titres domestiques ; et de me marquer les fautes qui m’ont pû échapper, car je ne suis pas infaillibre ; afin que si quelque jour je me puis voir à portée d’examiner moy même les Chartriers de M. le marquis du Liscoët et autres de même nom, piece à piece, je puisse leur faire present de quelque chose de plus achevé. Voicy cependant une espece de Canevaz composé de pièces authentiques et non suspectes, sur lequel ils pourront regler ceux qu’ils pourroient employer à ce travail, à mon défaut. Fecil est addere inventis,

DONEC MAJORA REPONAM,

le 17 may 1701. »

Le premier volume du Nobiliaire s’arrête à du Guesclin ; et est assez avancé, par conséquent, dans l’ordre alphabétique, pour que Dom du Liscoët ait pu y donner place à une brève mais instructive histoire de la maison de Fougères. Cette histoire a été écrite depuis, et je dirai même avec plus de détails ; mais, à cette époque, au commencement du XVIIIe siècle, alors que rien n’était encore publié des recherches des Bénédictins sur l’histoire de Bretagne, c’était une véritable nouveauté dont l’annonce devait au plus haut point exciter la curiosité des amis de Dom du Liscoët.

Il l’avait composée sur titres et avait exploré à cette fin les chartriers des abbayes de Rillé, de Savigni et de Marmoutiers. Il y avait manifestement donné tout son soin. C’est qu’il était né tout près de Fougères, qu’il avait fait ses humanités au collège de cette ville, que l’église de Saint-Léonard, qui avait vu naître, sans doute, sa vocation ecclésiastique, abritait les cercueils de son père et de sa mère, que son enfance avait à peine connus.

Ces motifs, qui le rattachaient à Fougères, lui donnèrent également lieu de parler spécialement, en son Nobiliaire, des famille qui habitaient la ville, lorsqu’il y demeurait lui-même. On extrairait de son recueil une ou deux pages assez curieuses, que l’on pourrait intituler : État des familles de Fougères en 1701.

Du fond de son abbaye du Mans, il ne perdait pas de vue les membres de la noblesse bretonne avec lesquels il s’était trouvé en relations.

Après avoir fait ses humanités à Fougères, nous nous le rappelons, il va pour étudier la rhétorique, en 1680, et la philosophie, les années suivantes, chez les jésuites de Rennes. Il nous laisse en passant le nom du P. Baron, son professeur de rhétorique, et celui du professeur de mathématique, le père Philippe des Cartes, neveu du célèbre philosophe. Des jeunes gens qui ont été ses condisciples, beaucoup vivent encore en 1701 : Bertrand du Guesclin, N. du Trévou, Gilles de Carné-Trécesson, devenu capitaine de dragons, puis capitaine de cavalerie ; mais tel autre est mort d’une chute de cheval, tel autre a été tué à la guerre ; et c’est le cas de Julien-Joseph de Carné, qui étudiait, comme lui, la rhétorique en 1680, et qui a été tué, en 1693, à la bataille de la Marsaille, capitaine de dragons dans le régiment du Cambout.

En terminant ses études, Adrien-Georges du Liscoët a pris l’habit de Saint-Benoît. Tout ce qui touche la congrégation de Saint-Maur l’intéresse : et, en parlant d’une famille, il ne laisse jamais échapper l’occasion de rappeler le nom de ceux qui ont suivi son exemple, et son devenus bénédictins. C’est ainsi qu’il nous a transmis, ça et là, les noms de quelques-uns des religieux, ses frères, qui appartenaient à des famille nobles de Bretagne : dom Ignace Poisson, de Fougères, qui était son parent du côté maternel ; dom Georges Botherel de Mouillemuse ; dom Gilles de Bruc, et son frère, Louis, mort faisant le noviciat ; dom Maurice Le Couriault ; dom Pierre Le Courtois, qui n’a revêtu l’habit monastique qu’en 1700, après avoir fait plusieurs campagnes, en qualité de capitaine d’infanterie et de dragons, dans les régiments de Guébriant et du Cambout ; dom Gilles Daen de Kermenan ; dom N. Ferron du Quengo ; dom Jean-Baptiste Louail de La Sauldraye ; etc.

Nous n’avons pas voulu laisser ces nom de bénédictins, sans leur donner une place dans notre travail. Aucun d’entre eux n’est parvenu à la célébrité ; mais ces religieux bretons étaient des contemporains de dom Audren, de dom Le Gallois et de dom Lobineau. Il est donc à penser qu’ils ont eu une part, si modeste qu’elle fût, dans la préparation de l’Histoire de Bretagne.

Nous avions même conçu l’espoir de prouver que le P. du Liscoët avait collaboré à la grande œuvre de Lobineau. Il y a vécu au Mans, et très probablement sous la conduite de dom Audren. Nous avions cru un instant le reconnaître dans le second de ces jeunes religieux « qui ont du mérite et travaillent bien », que dom Audren avait amenés de Bretagne, et dont il parle dans sa lettre à M. de Gaignières du 30 décembre 1693.

Mais, malgré nos perquisitions, rien ne nous donne la certitude qu’il ait apporté sa pierre au splendide monument érigé par ses frères à la gloire des Bretons. S’il n’a pas eu cet honneur, du moins nous avons cru que sa mémoire ne devait pas être oubliée. C’est en effet à notre histoire qu’il a voué une partie de sa carrière, en étudiant les origines des familles de Bretagne. Si ces doctes confrères avaient nourri la prétention d’écrire la vie de la nation bretonne, sans en interroger le nobiliaire, ils n’auraient pas reçu de notre admiration le grand nom d’historiens.


[1Correspondance historique des Bénédictins bretons, publiée par M. A. de La Borderie, p. 20

[2Ibid., p. 47

[3Ibid., p. 26

[4Ibid., p. 103

[5Le premier de ces ouvrage est resté manuscrit et le chevalier de Kerdaniel n’a publié du second que le projet. Ses travaux, en général, étaient estimés de son temps ; nous verrons tout à l’heure ce qu’en pensait Dom du Liscoët

[6Barthélémi-Hiacinthe-Anne Le Sénéchal de Carcado. Il épousa Louise-Renée de Lannion ; et ne vivait plus en 1703, d’après une note du R.P. du Liscoët.

NdT : il est décédé le 6 avril 1694 à Saint-Etienne de Rennes (BMS).

[7Nous apprenons ce détail d’une lettre inédite du comte de Lannion, frère de l’abbé, à Dom Lobineau, écrite de Versailles, le 14 février 1695, et que nous avons trouvée égarée dans les manuscrits du R.P. du Liscoët. Cette lettre est sans adresse ; mais nous n’avons pas un seul doute sur le nom du destinataire. Nous y lisons le passage suivant :

« J’ai reçu des mémoires de ma maison de plusieurs endroits, il y e a mesme quelques uns du trésor des Chartres du Roy qui sont assez curieux. Monsieur l’abbé de Lannion vous doit communiquer toutes ces pièces avec plusieurs autres qui seront utiles au dessein que vous avez entrepris de travailler à l’histoire de Bretagne ; personne au monde n’estoit plus capable que vous d’un tel ouvrage… »

La grande affaire pour les Lannion était de prouver « leur filiation de Pentièvre » comme écrivait le comte. Ce n’était pas une chimère ; et Dom Lobineau croyait à la légitimité de cette prétention. Mais les preuves n’arrivaient pas assez vite au gré de l’abbé ; et il envoyait à Dom Lobineau des actes qui, soumis à la critique sévère de Dom Denys Briant, attiraient de sa part des notes semblables à la suivantes, que nous avons recueillie sur une copie de pièce, qu fond des Blancs-Manteaux : Ce titre envoyé, je croy, par l’abbé de Lannion, a bien la mine d’être forgé. L’Histoire généalogique de la maison de Lannion n’a jamais vu le jour.

[8Nous croyons que M. de Boisgeffroy était Jean Barrin, seigneur de Boisgeffroy, conseiller, puis, selon le P. du Liscoët, président à mortier au parlement de Bretagne.

[9La Correspondance historique des Bénédictins bretons contient une lettre de l’abbé de Chefdubois au prieur de Saint-Jacut, p. 221

[10Bibliothèque nationale. Département des Mss. fr. Nos 1871, 18712, 18713, 3 vol. p. in-f°, dont le Nobiliaire du P. du Liscoët n’occupe que les deux tiers.

[11Cette phase se rapporte, croyons-nous, à Dom Audren. Nous ne savons si le P. du Liscoët était moine de la Couture ou de Saint-Vincent du Mans. S’il appartenait à ce dernier couvent, son supérieur, à la fin du 1699, n’était plus Dom Audren, mais bien Dom Fermelis, selon le Gallia Christiana. L’abbé de Chefdubois emploie le mot directeur qui semble répondre parfaitement à la haute situation qu’à toujours gardée Dom Audren vis-à-vis de toutes les entreprises de ses confrères sur l’histoire de Bretagne.

[12Lettre du 25 novembre 1699. A Monsieur Chaumont, l’aîné, Mre Chirurgien pour le R.P. du Liscoët, au Mans.

[13« Au raport du Laboureur à Budes », comme écrit le P. du Liscoët, c’est à dire en l’Histoire généalogique de la Maison de Budes

[14Mémoire sur l’état du clergé et de la noblesse de Bretagne, par Toussaints de Saint-Luc, carme réformé, Paris, 1692, 2 vol. in-12

[15Histoire généalogique des Maisons illustres de Bretagne, Paris, 1620, in-f°

[16Au f. 25 du 3e volume, il nous déclare qu’il a trouvé un certain « Guy Heder, sr de la Fontenelle, condamné à estre rompu » et il l’attribue hardiment à la famille Le Héder, qui n’eut été que médiocrement flattée, si le Nobiliaire avait paru, de se voir affublée d’un personnage d’aussi compromettante mémoire.

[17Ecartelé d’argent et de gueules