Les origines des armoiries d’Olivier de Machecoul
Mardi 8 juillet 2008, par
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Yves Airiau, Les origines des armoiries d’Olivier de Machecoul, 2008, en ligne sur Tudchentil.org, consulté le 8 octobre 2024,www.tudchentil.org/spip.php?article517.
Cet article est la première partie d’une intervention prononcée lors du colloque Printemps de l’histoire du pays de Retz « échange et pouvoir au pays de Retz à la fin du Moyen Âge » tenu le14 avril 2007. Actes publiés : La Bernerie-en-Retz : Société des historiens du pays de Retz, 2008, p. 5-15. Elle résume une des parties d’un mémoire de master de recherche.
Il est la propriété exclusive de son auteur.
Les appels de note numérotés renvoient aux illustrations du propos présentées lors de la conférence puis complétées pour cette publication et aux références (s’il y a lieu) pour pouvoir les consulter. Le document pdf contient un tableau généalogique récapitulatif.
Les armoiries de Machecoul ont été adoptées le 24 juillet 1943 par Vichy [1].
Elles sont la reprise des armoiries d’Olivier de Machecoul, qui ont souvent été reproduites (parfois avec les émaux inversés) dans les armoriaux médiévaux et modernes [2]. Le témoignage direct de ces armoiries est conservé sur le sceau d’Olivier [3].
C’est le benjamin de Pierre de Dreux, duc de Bretagne de 1213 à 1237. Il vécut de 1231 à 1279, jouant un rôle important à la cour de son frère le duc Jean Ier et jouissant d’une assise financière considérable, fondée sur ses possessions dans le pays de Retz, au cœur des échanges commerciaux
de la région.
Ces armoiries sont aussi reproduites sur sa pierre tombale. Plusieurs fois décrite au XVIIe siècle, il en reste un dessin [4], et une reproduction fidèle d’après l’original en a été faite au XIXe siècle [5], monument encore conservé [6]. Toutefois ces armoiries diffèrent de celles de son père.
Les armoiries de Pierre de Dreux se décrivent échiqueté d’or et d’azur à la bordure de gueules au franc canton d’hermine [7]. Ce sont celles des Dreux augmentées d’une brisure de cadet, cette marque étant à l’origine des hermines de Bretagne. Elles se trouvent sur sa tombe [8] et sur plusieurs vitraux du transept sud de la cathédrale de Chartres (où le Duc est figuré en chevalier en armure, à cheval en tenue d’apparat ou orant revêtu d’une tunique armoriée, les armes seules étant également représentées à de multiples reprises [9]). Il les conserve à toutes les étapes de sa vie féodale et chevaleresque, seule la titulature changeant sur ses sceaux successifs [10].
Elles paraissent cependant réservées à sa descendance sur le trône des ducs de Bretagne, Olivier ne les portant pas. Aussi quelles armoiries reprend-il et pourquoi ?
Pour répondre à ces questions les différents types possibles d’acquisition seront passés en revue avant de voir quelle est l’origine/signification des armoiries adoptées.
Différents types possibles d’acquisition d’armoiries
Outre la transmission paternelle, ils sont au nombre de quatre :
- armes de fief,
- armes maternelles,
- armes maritales (et encore de fief),
- assimilation à un groupe héraldique autre que paternel.
Les armoiries de fief
La première maison de Machecoul
Pour cette famille, seuls deux empreintes sigillaires sont connues. Bernard n’a laissé qu’un sceau équestre à l’écu non armorié [11]. Sa sœur Béatrix utilise un sceau dont l’avers porte un brochet [12]. Il s’agit d’armes parlantes pour sa seigneurie de Luçon (« lucius » signifie brochet en latin).
Il n’y a pas là de chevron.
La famille de Marguerite de Montaigu [13]
C’est la troisième épouse de Pierre de Dreux. Elle est dame de Machecoul de 1235 à sa mort, son mari lui ayant remis ce fief en garde, n’acceptant pas le bail désigné à la mort de Béatrix. Cette donation sert de compensation aux douaires qu’elle tenait de ses deux maris successifs et remis en gage au Roi de France en novembre 1234.
Ses différents sceaux reprennent les armoiries de ses deux maris : Thouars ancien brisé (d’or à l’orle de merlettes de gueules au franc canton de gueules chargé d’une quintefeuille d’or) et Dreux-Bretagne.
Elle est par ailleurs dame de La Garnache, dont elle n’a pas repris les armoiries (deux lions léopardés) qui ne sont connues que par un sceau perdu de Pierre V.
Enfin les armoiries de sa famille Belleville ne sont pas non plus une piste intéressante (gironné de vair et de gueules).
Les armoiries maternelles
Nicole de Machecoul, la mère d’Olivier, reste inconnue hormis sa pierre tombale [14].
Comment retrouver ses origines ? Se servir de l’onomastique en cherchant quelle famille « utilisait » son prénom et celui de son fils pour nommer ses membres peut être une piste intéressante.
Sa famille paternelle : les Paynel [15]
C’est la seule famille aristocratique utilisant les deux prénoms Nicole et Olivier pour la période considérée (1150-1230 : naissance d’Olivier et deux générations précédentes). Ce sont des Normands possessionnés dans l’Avranchin. Des éléments historiques viennent corroborer cette
hypothèse :
- Pierre de Dreux utilise le château d’Aubigné possédé par les Paynel depuis le début du XIIIe siècle ;
- Les éléments archéologiques conservés sur ce site montrent une atypique première rénovation architecturale au caractère philippien dont les Dreux sont de grands promoteurs ;
- Le Duc cède cette terre en 1237 à son beau-frère André III de Vitré en dédommagement des empiétements sur la forêt de Rennes, dot de Catherine de Thouars son épouse, pour construire Saint-Aubin-du-Cormier. Il ne peut le faire que s’il possède ce fief (en l’occurrence par mariage) ;
- Les Paynel sont aux côtés du duc de Bretagne dans son opposition à Blanche de Castille et son soutien au roi d’Angleterre Henri III lors de son périple de 1230 ;
- Cette alliance permet à Pierre de Dreux de s’agréger au groupe aristocratique du nord-est de la Bretagne (auquel les Paynel sont liés par les Fougères) alors qu’il lui est rétif, ainsi qu’aux principaux représentants d’Henri III au nord de la Loire (Chester, Le Maréchal et Aubigné).
Toutefois les armoiries utilisées dans cette famille ne comportent pas de chevron (Hambye et Moyon – d’or aux deux lions léopardés de gueules –, Tesson – fascé de sinople diapré d’or et d’hermine –, Drax – d’argent à la bande de sable puis d’or à deux fasces d’azur accompagnées de neuf merlettes de gueules, 4, 2, 3, rangées en orle). De même pour les familles alliées aux générations précédentes [Hommet – d’argent à la bordure de gueules besantée d’or – et Semilly – d’argent à la bordure de gueules chargée de six fermaux d’or, 3, 2, 1 –, Fougères – d’or à la fougère de sinople –, Dol – fuselé (avant l’alliance Subligny – écartelé d’argent et de gueules) ?].
Sa famille maternelle : les Aubigné [16]
Olivier est un prénom récurrent pour les Aubigné.
Les Paynel sont seigneurs d’Aubigné par mariage avec l’héritière du fief.
Cette branche de la famille Aubigné est alliée en Bretagne aux Dol, Dinan, Fougères, Vitré. Il y a également des liens étroits avec la branche anglo-bretonne très proche d’Henri III. Les Aubigné portent quatre fusées en fasce, accompagnées ou non de tourteaux.
Une autre branche éloignée porte des chevrons (d’or à deux chevrons de gueules à la bordure de gueules), du fait de son alliance avec les Clare, qui sont à l’origine du développement du motif chevronné de l’autre côté de la Manche. Toutefois il n’y a plus de lien direct entre la branche bretonne des Aubigné et les seigneurs de Belvoir à l’époque étudiée.
Les armoiries d’Olivier, au contraire de son prénom, ne proviennent donc pas de sa famille maternelle.
Des armoiries maritales ?
Olivier de Machecoul épouse en premières noces Amicie/Marquise de Coché. Reprend-il ses armoiries familiales en même temps qu’il devient seigneur des fiefs qu’elle apporte en dot ?
La famille de l’épousée [17]
Elle est la fille d’Olivier de Coché (fief au nord du lac de Grand-Lieu) et de Pétronille de Clisson, héritière de La Benâte (sud-est du Pays de Retz).
Elle (ou sa soeur) a été mariée en 1238 à Brient de Varades. Il faut se demander à ce propos s’il s’agit bien d’un premier mariage. Une étude approfondie de la famille de ce dernier révèle la présence de deux autres Marquise, sa mère et sa grand-mère maternelle.
Il paraît alors logique de distinguer Amicie et Marquise en faisant de la seconde la fille de la première. Un élément vient renforcer cette déduction, Jean de Coché. Chevalier après 1285 et avant 1288, il a dû naître vers 1265. Ses parents sont pourtant mariés depuis au moins 1258 et il est leur seul enfant connu. Sa mère a donc convolé très jeune. Sa propre naissance peut alors être datée d’environ 1245. Ce qui se situe dans les dix premières années de l’union de Brient et Amicie. Ainsi Marquise, première épouse d’Olivier est la petite-fille d’Olivier de Coché et non sa cadette, celui-ci n’ayant qu’une fille et héritière épouse de Brient, ce qui explique l’approbation qu’il apporte aux donations faites par son beau-père à compter de son union.
Maintenant que la parenté de Marquise est établie, il faut vérifier si Olivier a repris les armoiries de la famille de son épouse qui seraient alors des armoiries de fief.
Les armoiries portées dans la parenté de Brient
- Clisson : de gueules à un lion d’argent armé, lampassé et couronné d’or, mais ces armes sont postérieures à la mi- XIIIe siècle.
- Coché : les seules armoiries connues sont du XVe siècle et pour une autre famille, les Goheau (de gueules à la bande d’argent accompagnée de trois trèfles de même, deux à dextre et un à senestre). Ce sont maintenant les armoiries de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu.
- Ancenis : les armoiries actuelles sont postérieures à Geoffroi IV (de gueules à trois quintefeuilles d’hermine).
- Geoffroi III : une aigle éployée.
- Geoffroi IV : une quintefeuille.
- Varades : André, grand-oncle de Brient, a laissé un sceau (non émaillé) apposé sur son testament : un chevronné. Ces armoiries sont aussi celles utilisées par sa mère (armoiries maritales).
Pour en retrouver les émaux, il faut donc vérifier si des branches collatérales subsistantes au XIIIe siècle n’ont pas possédé des armoiries similaires.
Les La Tour-Landry (famille de la mère d’André) aux armoiries parlantes (une tour) sont de fait éliminés.
Il reste une branche féminine : les Montrelais. Différentes armoiries en sont connues : cotices en barre, denticulé, trois chevrons à la fasce brochant [18]. Ces trois types paraissent des reprises partielles des chevrons des Varades. Il y aurait là un emblème familial proto-héraldique. Les émaux sont connus : azur pour la figure, or pour le champ et à nouveau azur pour la brisure. Cette brisure laisse supposer une reprise des armoiries des Varades sans en changer les émaux, ce qui serait logique car les Montrelais descendent des Ingrandes qui ont supplanté les Varades dans leur principale seigneurie à la suite d’une alliance matrimoniale. La représentation du chevron supérieur peut être écimée ou non, précision qui n’est pas fournie pour les Varades. Mais la source de ces dessins et descriptions est la même : dom Denys Briant qui participa à la préparation de l’oeuvre de dom Lobineau continuée par dom Morice.
Il apparaît ainsi que les armoiries des Varades sont d’or à trois chevrons d’azur. Ce choix des Varades n’est pas neutre. Il indique une sujétion aux comtes d’Anjou, qui eux-mêmes portaient ces couleurs en revendication de leur dapiférat pour les Capétiens.
Or Olivier ne reprend pas ces émaux alors qu’il pourrait se poser en héritier des Varades et arborer en même temps des couleurs capétiennes. Ceci s’explique s’il dispose d’armoiries avant son mariage,
mais à condition que le prestige en soit tout autre.
Il convient donc d’explorer à nouveau la piste paternelle en regardant au-delà de Pierre de Dreux.
Des armoiries à caractère familial [19]
Pour le baron Pinoteau, les armoiries d’Olivier seraient la reprise de celles de Jean de Braine, comte de Mâcon [20]. C’est le plus jeune frère de Pierre de Dreux. Ils sont très liés, pratiquant entre autres la poésie courtoise. Pierre nomme son fils aîné Jean sans doute en son honneur, ce qu’a fait auparavant Robert leur frère aîné. Ils participent en 1226 à la Croisade des Albigeois et en 1239 à la Croisade des Barons au cours de laquelle Jean est tué. Celui-ci a eu plusieurs fois l’occasion de se porter garant auprès du Roi pour son frère lors des démêlés de celui-ci avec la Couronne entre 1226 et 1234.
Ce magnat n’a laissé que des empreintes sigillaires évidemment non émaillées.
Toutefois les émaux sont connus par l’utilisation qu’en a faite la famille Chevriers-Saint-Mauris qui utilisait des armoiries similaires (d’argent aux trois chevrons de gueules à la bordure engrelée d’azur) [21]. Cependant elle se disait au XVIIe issue des comtes de Mâcon pour justifier cette utilisation.
Or il n’en est rien. Il s’agit en fait d’une famille issue de la bourgeoisie mâconnaise à la fin du XIIe siècle qui accède à la chevalerie au siècle suivant, avant de jouer un rôle important auprès de Jean de Braine.
Alors pourquoi admettre ces émaux comme ceux du comte ?
Cinq motifs y poussent :
- Prenant ces armoiries, les Chevriers ont des armoiries parlantes (même racine étymologique pour chevron et Chevriers).
- En 1232, ils obtiennent une augmentation de fief, ce qui serait l’occasion de ce possible changement, le comte de Mâcon en l’autorisant leur manifestent également sa reconnaissance.
- Olivier, reprenant les armoiries de son oncle décédé sans hoirs, n’a pas de raison de les modifier.
- Ces armoiries de Jean de Braine constituent une brisure simple des armoiries qu’il reprend.
- Si les Chevriers étaient les descendants des derniers comtes, pourquoi briser ?
Olivier de Machecoul a donc repris les armoiries de son oncle.
[1] Plaque de la rue de Retz à Machecoul, photographie de l’auteur
[2] Écu aux armes des Machecoul, émaux inversés, La Bretagne d’après l’Itinéraire de Monsieur Dubuisson-Aubenay, suivi du Profil de la Bretagne de Jean Babin (1663), coord. CROIX (Alain), Rennes : Presses universitaires de Rennes – Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2006, p. 575
[3] Présentation séquencée de deux reproductions du sceau d’Olivier d’après l’original et d’après les bénédictins, LA NICOLLIÈRE[-TEIJEIRO] ([Étienne-Joseph, dit] Stéphane [PRAUD] de), « Une pierre tombale de l’abbaye de Villeneuve. Olivier de Machecoul. XIIIe siècle. », Bulletin de la Société archéologique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure, t. Ier, Nantes, 1859, p. 267
[4] Calque du dessin de la tombe d’Olivier de Machecoul établi pour Gaignières, La Bretagne, p. 831.
[5] Dessin de la tombe d’Olivier de Machecoul d’après la pierre originale, LA NICOLLIÈRE, planche hors texte p. 268
[6] Présentation séquencée de la partie du dessin décalquée de la pierre original et d’une vue actuelle de la pierre, photographie de l’auteur.
[7] Écu de Pierre de Dreux, dessin de l’auteur.
[8] Calque du dessin de la tombe de Pierre de Dreux établi pour Gaignières, BnF, Estampes, Res Pe 1g fol 98.
[9] Vitraux de la Cathédrale de Chartres, photographies de l’auteur. Présentation séquencée :
- Pierre de Dreux en tenue de chevalier en armure à cheval, rose de la baie 124.
- Pierre de Dreux orant, registre inférieur de la quatrième lancette de la baie 122.
- Écu aux armes des Dreux-Bretagne, registre inférieur de la troisième lancette de la baie 122.
[10] Sceau de Pierre de Dreux, MORICE (dom [Pierre] Hyacinthe), Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, tirées des archives de cette province, de celles de France & d’Angleterre, des Recueils de plusieurs sçavants Antiquaires, & mis en ordre, Paris : Imprimerie de Charles Osmont, 1742 (réimpr. Paris : Éditions du Palais Royal, 1974), t. I, planche 8, no LXXII.
[11] Sceau de Bernard de Machecoul, MORICE, planche 4, no XXIX.
[12] Sceau de Béatrice de Machecoul, MORICE, planche 4, no XXX.
[13] Tableau des seigneurs de La Garnache, Montaigu, Commequiers, Belleville du XIe au XIVe siècles avec représentation des armoiries d’après les sceaux conservés.
[14] Calque du dessin de la tombe de Nicole de Machecoul établi pour Gaignières, La Bretagne, p. 835.
[15] Tableau de la famille Paynel avec représentation des armoiries d’après les armoriaux, les descriptions faites et/ou les sceaux conservés.
[16] Tableau de la famille Aubigné avec représentation des armoiries d’après les armoriaux, les descriptions faites et/ou les sceaux conservés.
[17] Tableau de l’ascendance de Marquise de la Benâte avec représentation des armoiries d’après les armoriaux, les descriptions faites et/ou les sceaux conservés. Présentation séquencée :
- Dans un premier temps pour expliquer comment Marquise est la fille et non la soeur d’Amicie de Coché.
- Ensuite pour passer en revue les différentes armoiries connues dans son ascendance.
- Enfin pour démontrer quels étaient les émaux utiliser par les Varades.
[18] Sceaux aux armes des Montrelais, MORICE, planche 6, no LIII, planche 7, nos LV à LXII.
[19] Tableau de la famille paternelle d’Olivier de Machecoul avec représentation des armoiries d’après les armoriaux, les descriptions faites et/ou les sceaux conservés.
[20] Écu de Jean de Braine, dessin de l’auteur.
[21] Écu aux armes des Chevriers-Saint-Mauris, dessin de l’auteur.