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Noblesses de Bretagne

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Jean Kerhervé

La notion de noblesse à travers l'étude de la chevalerie du xie au milieu du xiiie siècle : débat d'idées, problème de méthode

Perspectives critiques à partir des données du Rennais

Michel Brand'Honneur

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Ainsi, André de Fleury classait les hommes en quatre catégories : les premiers, les moines (dont il (...)

1Traiter de la notion de noblesse pour les xie, xiie et xiiie siècles n'est pas une tâche aisée. L'historien est tributaire de sources délicates à interpréter. Elles émanent essentiellement d'établissements monastiques enregistrant les dons qui leur étaient adressés. Leur but n'était donc pas de livrer un tableau de la société du Moyen Âge, même si, ici ou là, au hasard de la plume des scribes, nous pouvons glaner quelques rares informations plus originales. Un second type de sources peut aider l'historien dans sa recherche. Il s'agit des écrits des intellectuels du Moyen Âge, avant tout des religieux. Pour comprendre leur société, ces derniers se référèrent à des schémas classificatoires simples. Le plus connu est celui des trois ordres constitués par ceux qui prient, combattent et travaillent. G. Duby, dans un superbe ouvrage intitulé « Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme », a montré que cette vision tripartie de la société s'est modifiée dans le temps mais aussi en fonction des idéologies et intérêts que les intellectuels avaient à défendre1.

  • 2 Par exemple Léopold Genicot, La noblesse dans l'Occident médiéval, Variorum reprints, London, 1982 (...)
  • 3 Karl-Ferdinand Werner, Naissance de la noblesse, Fayard, Paris, 1998, 587 p.
  • 4 Jean Flori, L'essor de la chevalerie, xie-xiie siècles, Droz, Genève, 1986, 404 p.
  • 5 Dominique Barthelemy, La mutation de l'an mil a-t-elle eu lieu ? Servage et chevalerie dans la Fran (...)

2Toutes ces sources (écrits d'intellectuels et actes monastiques), complexes à analyser, sont à l'origine de représentations, parfois très contrastées des historiens, de la société médiévale. Elles opacifient notamment la conception que l'on peut avoir de la noblesse. Très schématiquement, selon certains, cette notion relèverait avant tout d'une question de notabilité et ne renverrait pas à un statut juridique précis avant le xiiie siècle2. Pour d'autres, la noblesse serait en continuité directe avec le monde romain et aurait toujours gardé un statut juridique propre3. À cela s'ajoute une compréhension non moins divergente du rapport entre la noblesse et les milites. Certains traduisent volontiers ce mot latin, jusqu'à la première moitié du xie siècle environ, par cavalier, considérant ce dernier, souvent de basse extraction, comme l'antithèse de la notion de noblesse. Ensuite, les valeurs guerrières se diffusant chez les nobles, le miles deviendra petit à petit un chevalier pour finir, vers le xiiie siècle, par se fondre dans la noblesse4. Un autre courant historique pense, à l'inverse, que la chevalerie serait bien antérieure à l'an mil et qu'elle aurait été associée, dès son origine, à la noblesse5.

  • 6 Cf. les tableaux dressés dans D. Barthelemy, La mutation..., op. cit., p. 286-296 ; J. Flori, L'es (...)

3Le lien noblesse chevalerie est donc interprété de façon très divergente par les historiens. Leurs travaux et réflexions sont, entre autres, basés sur des analyses régionales portant sur l'évolution du mot miles, souvent entre les xie et xiiie siècles6. Parfois, le comptage terminologique a été utilisé comme fondement de l'analyse, ce qui n'empêche d'ailleurs pas d'aboutir à des résultats contradictoires. Cependant, une telle méthode implique que les sources de référence désigneraient systématiquement des catégories explicites d'individus. Or, à partir des données du Rennais, nous proposons de montrer que ces textes sont loin de s'appuyer sur une catégorisation homogène et univoque des individus mentionnés. Cette démarche amènera à cerner de près certains personnages qualifiés de miles. C'est ce que nous proposons de présenter à partir de données du Rennais, des années 1 000 à 1 250, en débutant par une approche méthodologique critique de la recension du mot miles dans les actes de la pratique, pour ensuite examiner, à partir de sources variées, les origines sociales de ce groupe.

La mention des milites dans les actes : une catégorisation sans fondement ?

4L'essentiel des recherches régionales portant sur les milites repose sur l'analyse des actes de la pratique. Or, ces derniers sont souvent d'une utilisation malaisée car ne traitant qu'indirectement des problèmes préoccupant l'historien. Ainsi, la mention explicite à ce statut semble aléatoire. Dès lors, la question méthodologique paraît centrale à l'étude de ce type de documentation si particulière et semble devoir être le préliminaire de cette recherche.

Les limites d'une approche quantitative

  • 7 Michel Brand'Honneur, Le château et la motte du ixe au xiie siècle, une clé d'analyse de la société (...)
  • 8 Ce chiffre ne peut être qu'approximatif en raison de la confusion possible entre deux individus por (...)
  • 9 Ce chiffre lisse les éventuelles fluctuations entre les différentes générations.
  • 10 Jean Allenou, « Histoire féodale des marais, territoire et église de Dol. Enquête par tourbe ordonn (...)
  • 11 Jean-Claude Meuret, Peuplement, pouvoir et paysage sur la marche Anjou-Bretagne (des origines au Mo (...)
  • 12 Cf. M. Brand'Honneur, Le château et la motte..., op. cit. t. I, p. 410-411 et 446.

5A contrario de ce qui est parfois posé comme un élément d'objectivité, l'étude des milites à partir de la statistique des actes de la pratique semble être délicate à réaliser. Prenons en exemple les quelques 1 878 actes collationnés sur le Rennais entre le xie et le milieu du xiiie siècle7. Le mot miles et son pluriel se retrouvent dans 18,1 % de ces textes. Ces mentions permettent de dresser une liste d'environ 521 individus8. Ce nombre de milites, formellement attestés dans les actes, doit être examiné avec attention. Si l'on compte, sur la période 1000-1250, la succession d'environ 8,3 générations (soit une génération tous les trente ans), il s'avérerait que chacune de ces époques aurait connu en tout et pour tout 62 chevaliers dans le Rennais9. Si l'on affecte équitablement ces individus dans les dix châteaux majeurs de ce comté, cela donne une population de 6,2 milites par forteresse, ce qui est fort peu, voire dérisoire. D'autres documents indiquent que les chevaliers étaient nettement plus nombreux. Par exemple, l'archevêque de Dol, Junguenée, créa, vers 1030, douze fiefs de milites pour servir le château de Dol10 ; mais il existait avant cette époque d'autres milites affectés au service de cette place forte. D'autre part, grâce à des investigations liant les textes à la recherche archéologique, des réseaux de mottes habitées par des chevaliers qui devaient le service au seigneur du château principal ont été mis en évidence. On compte ainsi, en moyenne, une vingtaine de mottes par forteresse dans le Rennais ou Craonnais11 Il est également certain qu'il y avait plus d'un miles à habiter la même motte12. Ces recherches indiquent qu'il y aurait au moins une quarantaine de milites affectés à chaque place forte majeure. Le nombre de quelque 571 milites mentionnés dans les actes de la pratique entre 1 000 et 1 250 est donc bien en deçà de la réalité.

6Malgré tout, est-il possible de suivre une quelconque évolution de la chevalerie dans le temps à travers cette documentation partielle ? Le comptage distinct des mentions par acte de miles ou de son pluriel par période de 50 ans, pourra, éventuellement, livrer une réponse. En effectif, nous obtenons les résultats suivants (Graph. 1, ci-dessous).

  • 13 Soit en tout 307 mentions de miles ou de milites. Ce résultat diffère des 521 miltes recensés parc (...)

Graph. 1- Nombre de textes où les mots miles ou milites se trouvent mentionnés13.

Graph. 1- Nombre de textes où les mots miles ou milites se trouvent mentionnés13.

7Mais ces résultats bruts ne prennent pas en compte l'évolution du nombre d'actes dans le temps. S'ils sont calculés par rapport aux effectifs de textes mentionnant le terme miles, ou son pluriel, et ceux qui sont dépourvus de ce type de mot, les données s'interprètent différemment (graph. 2, ci-dessous).

Graph. 2- Pourcentage d’actes mentionnant ou ne mentionnant pas les termes miles ou milites.

Graph. 2- Pourcentage d’actes mentionnant ou ne mentionnant pas les termes miles ou milites.
  • 14 Hubert Guillotel, Les actes des ducs de Bretagne (944-1148), thèse de doctorat dactylographiée, Pa (...)
  • 15 Ibid., acte 23.
  • 16 Dom Hyacinthe Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire civile et ecclésiastique de Bre (...)
  • 17 Dom Morice, I, 857-858.

8D'emblée, soulignons que les pourcentages de mentions de milesl milites par rapport au nombre d'actes de la première moitié du xie siècle (26 %) et entre 1200 et 1249 (30,5 %) sont proches. Il n'y a ni plus ni moins de chevaliers dans ces textes de 150 à 250 années d'écart. Cependant, il est nécessaire d'affiner cette approche car les textes changent de nature dans le temps. Grosso modo, les actes de la première moitié du xie siècle revêtent un caractère archaïque qui n'est pas sans rappeler, quant à leur forme, les diplômes carolingiens, même si leur aspect s'en détache quelque peu14. Dans ce type de texte, les donateurs affectionnent de préciser leur statut, en autre celui de miles. Celui-ci est annoncé dès la suscription. Il prend le plus souvent la forme suivante : « Ego Rivellonius, provinciae Redonensis miles15 ». Dans les actes de la première moitié du xiiie siècle, les donateurs de biens soulignent leur titre un peu de la même manière que 250 à 150 ans auparavant. Se retrouvent fréquemment, dans la suscription, les formules du type : « Jodoinus de Dolo, miles16 ». Mais le terme miles, ou son pluriel, peut être utilisé dans d'autres contextes, par exemple dans les listes de milites dus en service à tel seigneur17 ou dans le protocole d'un acte.

  • 18 Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 1 F 544, 10.

9Entre 1050 et 1199, les mentions de chevaliers dans les textes se font plus rares (trois fois moins pour le xiie siècle). Cela ne signifie pas que les effectifs de milites diminuent. La nature des textes change avant tout. La forme solennelle des actes de la première moitié du xie siècle tend à disparaître rapidement pour être remplacée par des notices. Ces textes, riches en détails vivants, soulignent parfois le statut de leurs protagonistes, selon des expressions classiques du genre : « quidam miles Herveus, nomine de Vitreio castro18 ». Les témoins des donations peuvent être également classés en groupes distincts, une colonne étant spécialement affectée à la liste d'individus qualifiés de milites. Cependant, la nature des textes de la seconde moitié du xie siècle reste moins propice à la mention de son appartenance à la chevalerie que dans les années 1000-1049 (17,4 % contre 26 %). Ceci est encore plus vrai pour l'ensemble du xiie siècle, époque où les notices se font rares : seulement un peu plus de 9 % des actes emploient le mot miles ou son pluriel. L'approche quantitative de la chevalerie est donc ambivalente : l'utilisation du mot miles dans les actes a un sens mais il ne renvoie pas à un mode de catégorisation de la chevalerie. On ne peut comprendre autrement les raisons pour lesquelles les individus mentionnés dans les textes semblent rarement désignés par leur titre.

Des hommes dont la chevalirie est rarement citée

  • 19 Yves Chauvin, Cartulaire de [abbaye Saint-Serge et Saint-Bach d'Angers, thèse, dactylographiée, Cae (...)
  • 20 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., acte 17.
  • 21 Il s'agit de Robert III de Vitré, André II de Vitré, Robert de Sérigné, Odon de Cornillé, Silvestre (...)

10Les chevaliers semblent beaucoup plus nombreux que ce que la recension des terminologies permet de prime abord de lister. Compter le nombre de mentions de miles dans les textes selon les différentes périodes s'avère donc un exercice sans grande signification car c'est raisonner sans l'évolution de la nature des écrits. Du moins, cette démarche présente-t-elle l'intérêt de montrer que les effectifs de milites n'ont sans doute, ni augmenté, ni diminué, du début du xie siècle jusqu'aux années 1250. Ainsi, après avoir tenté une analyse quantitative des actes, essayons de voir si la chevalerie des individus est mentionnée régulièrement. Plusieurs indices montrent qu'il n'en est rien. En effet, certains détails, rarement mentionnés mais que l'on retrouve sur toute la période considérée, prouvent que l'on parle bien de chevalerie sans pour autant la nommer explicitement. Par exemple, Merellus, fils de Rainier de Taillis, qui participa à la donation de la chapelle de Bréal-sous-Vitré entre 1087 et 1092, est un pur chevalier puisque les moines de Saint-Serge lui donnèrent, pour qu'il retire sa calumnia, un haubert de 40 sous de deniers19. D'autres textes mentionnent clairement le service à cheval que les vassaux doivent à tel seigneur sans toutefois les qualifier de miles. Ainsi, au tout début du xie siècle, les moines du Mont-Saint-Michel devaient fournir à Gradelon et à ses deux fils, Angier et Hervé, deux chevaux à chaque fois que ces derniers iraient à la guerre20. Parfois même, nous avons la quasi certitude que la plupart des personnages cités dans certains actes sont exclusivement des milites. N'est-il pas question exclusivement de chevalerie lors du traité de paix passé entre Robert III de Vitré et Robert de Sérigné entre 1156 et 1161 ? Ce dernier doit entrer dans la familia du seigneur de Vitré avec ses armes, chevaux et habits. Les 18 protagonistes de cette paix font partie intégrante de la chevalerie et pourtant le mot miles n'est jamais mentionné ! Une vérification du statut de ces individus à partir d'autres actes confirme notre hypothèse21. S'ils ne sont pas dits miles dans cet acte de paix, c'est probablement que les scribes n'en ressentaient pas le besoin. Cela leur semblait tellement aller de soi.

  • 22 Dom Morice, I, 631.
  • 23 François Comte, L'abbaye Toussaint d'Angers des origines à 1330, Société des études angevines, Ange (...)
  • 24 M. Brand'Honneur, « L'habitat chevaleresque du xie au xiiie siècle. L'exemple du site de Dézerseul (...)

11Ainsi, le terme miles n'est pas utilisé systématiquement. Certaines parentés, comme les Landavran, mentionnés dans une quarantaine de textes différents entre 1040 et le début du xiiie siècle et comprenant 12 individus distincts, ne sont dits miles qu'à trois reprises22. Cependant, il est vraisemblable que d'autres Landavran le furent également. Citons également un autre exemple couramment rencontré. Bonabes II de Rougé, cité à plusieurs reprises dans les actes entre 1225 et 1242, n'est dit formellement miles qu'une fois, en 1226. Et pourtant, cela ne fait aucun doute qu'il l'était, sinon avant 1226, du moins jusqu'à sa mort23. Si la chevalerie s'acquiert durant son existence, une fois qu'on y rentre, c'est pour la vie, à moins de prendre l'habit de moine, souvent du reste sur son lit mortuaire. En croisant diverses approches, on pourrait estimer qu'il y a environ une chance sur dix à vingt que le statut d'un chevalier soit indiqué. Partant de ce constat, on peut d'ores et déjà affirmer qu'un beau nombre d'entre eux ne seront jamais mentionnés en tant que tels dans les textes. Tel semble être le cas de Guillaume de Dézerseul. Il exerce, en 1155, la charge de forestier du duc de Bretagne. Nous le retrouvons témoignant, ainsi que quelques autres personnages, dans un seul autre texte daté de 1161. Si ces témoins ne sont pas mentionnés en tant que miles en 1161, ils le sont tous dans d'autres textes et notamment vers 1157-1 16124 (hormis Guillaume que nous ne retrouvons plus dans aucun acte). Pour autant, il semble permis d'assimiler Guillaume de Dézerseul à un chevalier ou à une personne ayant un statut social très proche.

  • 25 M. Brand'Honneur, « Mottes et chevaliers... », op. cit.
  • 26 Dom Morice, I, 623-624 ; A. Guillotin De Corson, Pouillé historique de l'archevêché de Rennes, René (...)
  • 27 M. Brand'Honneur, « L'habitat chevaleresque... », op. cit., p. 77-94.

12L'historien-archéologue possède d'autres moyens d'investigation pour déterminer le statut des individus mentionnés dans les actes. En effet, lorsque le nom des témoins ou acteurs des actes sont associés à une indication toponymique (sous la forme : X, de tel lieu-dit), la plupart du temps, ce dernier nom renvoie à une motte constituant l'habitat caractéristique de la chevalerie des xie et xiie siècles25. Ainsi, le forestier Guy de Betton, cité dans un acte du comte Eudes en 1155, était bien un miles car ce toponyme correspond à un manoir près duquel se dressait une motte26. Il en est de même pour Guillaume de Dézerseul cité plus haut. Grâce à la mention de ce lieu-dit, nous avons pu retrouver la motte inédite lui correspondant qui était pourtant fort bien dissimulée en lisière de la forêt de Liffré27.

  • 28 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., acte 10.
  • 29 ADIV, 1 F 519, Livre Blanc, fol. 59.
  • 30 Dom Morice, I, 808.
  • 31 Par exemple, Arthur Bertrand de Broussillon, La maison de Laval (1020-1605). étude historique accom (...)
  • 32 Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, publiées par François Delaborde, éd. Jules Renouard, Pa (...)
  • 33 H. Guillotel, « Des vicomtes d'Alet aux vicomtes de Poudouvre », Annales de la Société d’histoire e (...)

13D'autres textes, en petit nombre mais à peu près uniformément répartis tout le long des 250 années étudiées, désignent uniquement un témoin parmi tant d'autres comme étant miles alors que ses confrères, au regard d'autres actes, possèdent le même statut. Par exemple, dans une liste de souscripteurs d'une donation datée de 1009/1019, Alfred, l'ancêtre de la maison de Fougères, est qualifié de miles alors que le vicaire Rivallon – un authentique chevalier lui aussi - ne porte aucune désignation statutaire28. Ceci n'est pas sans surprendre a priori. À y regarder de plus près, il serait possible d'expliquer cette apparente singularité par le fait qu'Alfred venait d'être fait chevalier et le scribe le soulignait. C'est une manière de mise en valeur de ce rituel de passage, d'indiquer que le nouvel adoubé possédait désormais le même statut que ses collègues. Un acte de Saint-Florent de Saumur daté de 1079/1083 semble corroborer notre hypothèse. Parmi une liste d'une vingtaine de témoins, un seul individu, Goscelin de La Haie, est dit explicitement « qui tunc erat miles29 ». De même, un scribe se plaît en 1207 à indiquer que Robert de Domagné fut fait chevalier en présence d'André II de Vitré, lorsque ce dernier confirmait un don du nouvel adoubé30. Quelques textes précisent également que tel personnage ne peut pas valider de son sceau un acte parce qu'il n'est pas encore chevalier31. Devenir chevalier est un fait remarquable qui mérite, à l'occasion, d'être mentionné dans les actes comme dans les chroniques. Ainsi, Rigord et Guillaume le Breton soulignent qu'Arthur, l'héritier de la couronne de Bretagne et prétendant au trône d'Angleterre, a été armé chevalier par Philippe Auguste en 120232. De même, Orderic Vital précise que le croisé Gervais de Bretagne, fils du vicomte Haimon de Dol, fut fait chevalier à Antioche en 1 11933.

14Ces différents exemples montrent que l'appartenance au statut de miles est loin d'être systématiquement mentionnée. Si les textes dans leur ensemble présentent des caractères assez rigides tant sur le fond que sur la forme, certaines variations sont possibles, et entre autres celle de citer ou non le statut des acteurs des actes. Même pendant les premières moitiés du xie et du xiiie siècles plus propices à la récurrence du terme miles, il n'y a pas de règle précise ni rigoureuse à ce sujet. Dans la plupart des écrits (91,9 %), le rédacteur s'en dispense car l'appartenance à la chevalerie des personnes citées est notoire.

La hiérarchisation implicite de la chevalerie dans les textes

15Après avoir souligné un certain nombre de difficultés dues aux non-dits des textes, examinons maintenant le profil des chevaliers. A-t-on à faire à des individus aux origines modestes autour de l'an mil, et dont certaines valeurs auraient été reprises par la noblesse à partir du xiie siècle ? Ou bien la chevalerie du xie siècle est-elle l'héritière d'une ancienne tradition la liant à la noblesse dès le xie siècle ?

Une chevalerie du haut rang

Les seigneurs châtelains

16Pour répondre à ces interrogations, il suffit d'examiner les premiers actes du comté de Rennes rédigés au début du xie siècle. Qui y est dit miles ? D'abord et avant tout ceux que l'historiographie traditionnelle qualifie d'ascendants des principaux lignages des seigneuries châtelaines des xie, xiie et xiiie siècles, soit, pour le Rennais :

  • Rivallon Ier de Dol, dit à trois reprises miles entre 1040 et 106634.
  • Mainguené, en 1037, dont la descendance s'installera à La Guerche35.
  • Hervé de Martigné, entre 1066 et 107636.
  • le vicarius Rivallon, entre 1008 et 1033, dont la descendance s'installera à Vitré37.
  • — Brient Ier de Châteaubriant, à deux reprises entre 1028 et 104938.
  • Geoffroy Ier de Châteaugiron en 109539.
  • Alfred, entre 1008 et 1019, à deux reprises, dont la descendance s'installera à Fougères40.
  • 41 H. Guillotel, « La place de Châteaubriant... », op. cit., p. 7-8 ; K.F. Werner, « Du nouveau sur u (...)

17Il s'agit des seigneurs détenant les principales places fortes du Rennais. Tous sont des chevaliers et ce, dès que les textes apparaissent, c'est-à-dire au début du règne d'Alain III (1008-1040). Cette conception de la chevalerie fleure bon avec celles d'Hubert Guillotel pour la Bretagne ou celles de Karl-Ferdinand Werner et de Dominique Barthélemy, dans une version, il est vrai, moins étatique41. Voilà qui s'accorde peu avec des milites dont les origines seraient, au xie siècle, modestes.

18Cependant, sans ces actes de la première moitié du xie siècle, nous n'aurions peut-être pas eu le même regard sur cette chevalerie appartenant incontestablement à la noblesse. Car, il faut bien avouer que, par la suite, ce statut n'est pratiquement plus rappelé. En tout, pour le xiie siècle, période où les principaux seigneurs figurent abondamment dans les actes, nous avons retrouvé seulement quatre mentions de leur appartenance à la chevalerie pour :

  • Geoffroy, junior de Châteaubriant en 110642.
  • Jean II de Dol, en 1137-62, où l'acte indique que la majorité est obligatoire pour appartenir à la militia et avoir un sceau43.
  • Harsculf de Soligné, seigneur de Dol, en 1167-79, qui précise que parce qu'il n'était pas encore miles et qu'il n'avait pas de sceau, il utilise les sceaux de son père Jean de Soligné. Harsculf sera dit miles quelque temps plus tard44.
  • Raoul II de Fougères, en 116345.

19 Signalons que la chevalerie est souvent mentionnée juste avant l'adoubement, lorsque l'individu ne peut pas sceller un acte car n'ayant pas encore l'âge adulte. Pour la première moitié du xiiie siècle, les mentions sont tout aussi rares :

  • Un texte de 1217 précise qu'André III de Vitré scellera des actes dès qu'il sera fait miles et aura son sceau46.
  • Geoffroy V ( ?) de Châteaubriant, en 123747.
  • Guy de Laval, époux de Philippa de Vitré, en 124848.
  • Guidon et Guidonem, fils de Guy de Laval, seigneur de Vitré, 124949.
  • 50 . Dom Morice, I, 528.

20Faut-il en déduire que très peu de seigneurs châtelains étaient chevaliers ? Assurément non, tous les historiens en conviennent à partir du xiie siècle. En fait, leur statut est tellement notoire qu'il est superfétatoire de le préciser. Par contre, ces grands seigneurs se plaisaient à montrer explicitement leur appartenance à la chevalerie dans des sources de nature différente de celles des actes. Il s'agit des rares épitaphes qui nous sont parvenues. En 1116, le « princeps Gaufredi [de Châteaubriant était] principis haeres militiae splendor50 ». Les représentations des gisants ne laissent également aucun doute. Sont représentés en habit de chevalier :

  • Harsculf de Soligné, seigneur de Combourg, mort en 1197.
  • Guillaume III de La Guerche, mort en 1223.
  • Alain, fils de Robert III de Vitré, seigneur de Dinan, mort en 1197-1 19951.

21Sont également miles les seigneurs utilisant les sceaux équestres dont le plus ancien de l'ouest de la France est, à notre connaissance, celui de Guy de Laval (1095). Pour le Rennais, nous possédons ceux de :

  • Robert III de Vitré en 1161, André II de Vitré en 1173-119952, André III de Vitré en 1230.
  • Raoul II de Fougères en 1162.
  • Geoffroy III de Châteaubriant en 1192-121253, et son homonyme en 1247.
  • Alain, fils de Robert III de Vitré, seigneur de Dinan, avant 1 19954.

22Si l'on croise toutes les sources disponibles (épitaphes, gisants, actes, sceaux), il ne fait alors aucun doute que les principaux seigneurs du Rennais étaient des chevaliers. Comme pour les périodes précédentes, la mention de son appartenance à la chevalerie dans les actes reste aléatoire. André II de Vitré, seigneur de Vitré entre 1173 et 1211, figurant dans 132 textes, n'est jamais dit miles. Et pourtant, c'est en tenue de chevalier qu'il choisit de se faire représenter sur son sceau. Tout ceci montre que les sources sont très délicates à analyser et qu'il faut aussi interpréter les silences des textes, avec prudence toutefois.

Les comtes et vicomtes

  • 55 ADIV, 1 F 517, Livre Blanc, fol. 91 ; dom Morice, I, 439. Cf. sur ces vicomtes H. Guillotel, « Des (...)
  • 56 . Dom Morice, I, 812-813.
  • 57 Benoît de Peterborough, Vita et gesti Henrici II Angliae regis, publiée par Michel Jean-Joseph Bria (...)
  • 58 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., p. CLXXIX.
  • 59 La tapisserie de Bayeux, édit. Ville de Bayeux. (non daté), scène 19-20.
  • 60 K.F. Werner, Naissance..., op. cit., p. 186-200.

23Tentons de voir maintenant si les comtes et vicomtes possèdent le statut de chevalier. Le problème est encore plus délicat à résoudre pour ces personnages de très haut rang que pour les principaux seigneurs-châtelains du Rennais. Leur notoriété chevaleresque occulte paradoxalement leur désignation précise dans les actes. Il existe cependant une mention d'un vicomte, Raoul, descendant des vicomtes d'Alet, qualifié de miles castri de Dinan entre 1070 et 111855. En 1209, le comte de Penthièvre, Henri, pourra recevoir la ligence de tous ses barons et chevaliers uniquement quand il sera lui-même fait chevalier56. Si l'on regarde du côté des chroniques, elles nous informent de l'adoubement de Gervais, fils du vicomte d'Alet Hamon, en 1119 à Antioche, et d'Arthur, héritier de la couronne de Bretagne, fait chevalier en 1202 par Philippe Auguste. La chevalerie des comtes n'est donc pas explicitement précisée dans les actes et dans les chroniques, sauf parfois au moment de l'adoubement qui inaugure l'entrée d'un individu dans la majorité. Faut-il attendre une anecdote contée par les chroniqueurs Rigord ou Guillaume l'Armoricain pour affirmer que le comte Geoffroy II était bien chevalier parce que mort de blessures à la suite de sa participation à un tournoi à Paris en 118657 ? Faut-il encore attendre l'apparition du sceau équestre de ce même Geoffroy II ou celui de Conan III (1141-114858), pour faire de ces comtes d'authentiques chevaliers ? Et n'est-ce pas en habit de chevalier que la tapisserie de Bayeux représente le comte Conan II remettant les chefs de la ville de Dinan à Guillaume le Bâtard en 106459 ? Nous le voyons, l'historien est tributaire de la nature des sources et de leurs non-dits. Ces exemples montrent, comme le souligne Karl-Ferdinand Werner, que les notions de militia et de miles ont fusionné pour donner naissance à la chevalerie60.

Et les chevaliers de moindre rang.

Des chevaliers dont le pouvoir s'étend sur une paroisse

  • 61 M. Brand'Honneur, Le château et la motte..., op. cit., t. II, p. 472-474.
  • 62 ADIV, 1 F 204, de 1240 ; M. Brand'Honneur, Les mottes médiévales en IIle-et-Vilaine, Institut cult (...)
  • 63 M. Brand'Honneur, « Mottes et chevaliers... », op. cit.

24La chevalerie est un statut que revêtent le comte, les vicomtes, les grands seigneurs au xie siècle. Mais ils ne sont pas les seuls à arborer un tel titre. Il est également porté par des individus aux rangs plus modestes. Il y a d'abord des seigneurs, certes puissants, mais dont le statut social est légèrement inférieur à celui des seigneurs châtelains. Citons, en exemple, les Goranton-Hervé de Vitré, les d'Aubigné dont l'ancêtre était Raoul le Large, les Rougé dont la fortune considérable était assise autour de Châteaubriant61. Mais la plus grande partie des chevaliers appartient à ces quelques centaines de groupes d'individus dont l'influence ne dépasse guère le territoire d'une paroisse. Leur nom est souvent suivi d'une indication toponymique permettant de les localiser. Ainsi, les milites de Cherrueix sont liés à la paroisse de ce nom, tout comme les La Ville-Cuite habitant une motte, sise en Saint-M'Hervé62. Ainsi, du xie au milieu du xiiie siècle, chaque paroisse comprend en moyenne un à trois groupes de chevaliers. Ceux mentionnés aux xie et xiie siècles demeurent essentiellement sur ou à côté d'une motte qui donnera fréquemment naissance à un manoir. D'autres, apparaissant dans les actes à partir de la fin du xiie siècle, logeaient dans des habitats dont la structure reste mal connue pour les xiie et xiiie siècles mais qui renvoient également, quelques centaines d'années après, à des manoirs63.

Les chevaliers de basse extraction ont-ils existé ?

  • 64 ADIV, 1 F 517, Livre Blanc, fol.91 ; H. Guillotel, « Des vicomtes d'Alet... », op. cit., p. 213-214
  • 65 ADIV, 1 F 1801, 13 ; M. Brand'Honneur, « Le lignage, point de cristallisation d'une nouvelle cohési (...)

25Souvent « l'école mutationniste » estime que le xie siècle aurait vu naître une cavalerie de basse extraction qui se serait hissée par la suite au rang de la chevalerie. Ce courant de pensée intègre dans ce groupe social les ministériaux, c'est-à-dire les agents seigneuriaux chargés de responsabilités administratives et dont on soupçonne parfois une origine servile. On y trouverait des forestiers, prévôts, sergents soldés et les milites castri, ces « cavaliers » non fieffés attachés au service d'un maître de château. Commençons par ces derniers. L'expression milites castri est quasiment absente de notre corpus de textes. Elle est mentionnée une seule fois dans un acte de Saint-Florent de Saumur de 1070/1118 où figure une liste de milites du château de Dinan. Parmi ces derniers est cité le vicomte Raoul, identifié par Hubert Guillotel comme étant un des descendants des puissants vicomtes d'Alet64. Un autre acte de Marmoutier, daté de la seconde moitié du xie siècle, mentionne « quidam miles Herveus, nomine de Vitreio Castro », qui donna la moitié du tonlieu dudit château. Il s'agit également d'un chevalier lié à un château, soit un miles castri. L'analyse d'autres actes de cette région montre que cet individu appartenait à une importante parenté incontestablement liée à la noblesse65. Ces quelques rares exemples montrent que les milites castri ne sont absolument pas de basse origine et qu'il ne faut pas interpréter trop rapidement une expression qualifiant des individus sans auparavant examiner le statut de ces derniers à l'aide d'autres actes.

  • 66 «  decimam atque sepulturam non stipendiis militum sed potius sustentatio nideberi monachorum, cle (...)
  • 67 J. Boussard a interprété cet acte comme étant la preuve qu'il existait des mercenaires au xie siècl (...)
  • 68 D. Barthélemy, La mutation..., op. cit., 1997, p. 280.

26Les milites soldés ou les sergents ont été également souvent considérés comme ayant une humble origine. Cependant, il faut bien comprendre le sens du mot stipendarius lorsqu'il est employé par des moines cherchant à récupérer des biens d'Église comme l'exigeait la réforme grégorienne. Une notice de 1055 précise en effet que les dîmes et sépultures ne devaient pas servir à stipendier les milites mais plutôt à soulager et entretenir les moines, clercs, pauvres et pèlerins66. Le mot stipendarius renvoie aux refus et mépris des moines de voir des biens d'Église utilisés pour chaser des chevaliers. Si Ebroin est qualifié de miles stipendarius dans une notice de Saint-Florent de Saumur de 1053, c'est parce qu'il tenait en fief du dominus Bloc de Hercac des dîmes et des droits de sépulture, prémices et oblations sur le monastère de Trémeheuc. D'ailleurs cet Ebroin n'est nullement un personnage de basse extraction car il finit sa vie sous l'habit de moine de Saint-Florent67. Dominique Barthélemy souligne, dans ce cas précis, qu'il s'agit d'une marque indubitable de noblesse68.

  • 69 J.-F. Nlermeyer, Mediae latinitatis lexicon minus, E.-J. Brill, Leiden 1954, p. 407-408.
  • 70 Acte publié dans M. Brand'Honneur, « Le lignage... », op. cit., p. 80-81, note 85.

27D'autres milites ont été considérés comme étant proches du statut de serf car faisant partie de la familia d'un seigneur69. Un acte de 1156/1161 amène à une interprétation fort différente. Il mentionne l'entrée, dans la familia du seigneur de Robert III de Vitré, de Robert de Sérigné70. Or ce dernier possède tous les caractères d'un puissant chevalier. Son lien de dépendance est négocié dans le cadre d'une paix orchestrée par le roi Henri II Plantagenêt à Valognes. Les dispositions de la paix sont clairement explicitées. Les deux hommes devront se rendre une aide mutuelle en cas de guerre et l'entrée de Robert de Sérigné dans la dépendance de Robert III s'effectue avec armes, chevaux et habits. La familia du seigneur renvoie donc ici à l'ensemble des vassaux d'un seigneur. Ces derniers sont des chevaliers et leur nom est souvent associé à une désignation toponymique renvoyant à une motte comme c'est le cas à Sérigné. Nous sommes donc bien loin de personnages d'origine modeste.

  • 71 ADIV, 1 F 517, Livre Blanc, fol. 77-78, 86-87, 90 ; 1 F 519, Livre Blanc, fol. 70-71, 73, Livre Noi (...)
  • 72 ADIV, 1 F 519, Livre Noir, fol. 62.
  • 73 ADIV, 1 F 517, 2, Livre Blanc, fol. 77.
  • 74 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., acte 96.

28Hamo de Livré, dit caballarius, eques, miles et famulus des moines de Saint-Florent, semble avoir une origine non moins honorable71. Il éleva une calumnia en 1055/1070 contre Saint-Florent sur les droits de la prepositura de Livré, composés du panage et du tonlieu qu'il possédait héréditairement. Hamo abandonna ses prétentions contre un poulain, un setier d'avoine, un porc, des deniers et son admission avec sa femme aux bénéfices des prières des moines72. Il reçut également de Saint-Florent en 1085 un palefroi appelé « Grain d'or », et 40 livres de deniers lorsque ses deux vassaux se démirent de la dominicatura de leur père comprenant le cimetière et la dîme de Pleine-Fougères73. De telles marges de négociation auprès des moines montrent qu'Hamo n'était pas un simple et modeste miles. D'ailleurs, lorsque Alain IV convoque ses fidèles pour témoigner dans ses actes, Hamo de Livré est qualifié de baron du duc74. Ce chevalier devait donc le service aux moines de Saint-Florent comme au duc.

  • 75 Ibid., actes 35, 42, 45.
  • 76 Noël-Yves Tonnerre, La Bretagne féodale xie-xiie siècle, Ouest-France, Rennes, 1987, p. 116.
  • 77 D. Barthélemy, « Qu'est-ce que la chevalerie... », op. cit., p. 64 ; Id., La mutation..., op. cit., (...)
  • 78 Olivier Guillot, Le comte d'Anjou et son entourage au xie siècle, Picard, Paris, 1972, t. I, p. 381

29Ce dernier exemple montre qu'il y eut des chevaliers attachés au service des abbayes. Le fait est loin d'être exceptionnel. On le retrouve au Mont-Saint-Michel qui fut sans doute très tôt une forteresse et à Saint-Georges de Rennes. En 1034/1040 et en 1040, Alain III et Conan II donnent à Pleubihan et à Plougasnou des equites à ce dernier monastère, et Mainguené, l'ancêtre des sires de La Guerche, fait de même lorsqu'il se dessaisit du monastère en faveur de Saint-Cyr de Rennes à Saint-Julien de Tours en 103775. Ces concessions d'equites ont été souvent interprétées comme une preuve formelle de l'existence de cavaliers professionnels de la guerre de basse extraction, voire d'origine servile76. Cependant et même si ces donations se font en même temps que des vilains et métayers (cum equitibus, villanis et méditarüs), elles peuvent être interprétées de façon différente comme le souligne Dominique Barthélemy. Le donateur ne concéderait que les droits de services qu'il possède sur ces equites77. Si cette interprétation est exacte, nous nous trouverions devant un modèle assez classique. Des chevaliers sont chasés sur une terre et doivent le service. Le don de la terre à une abbaye entraîne la concession du service des milites afin que l'abbaye puisse servir à l'ost comtal. Cette hypothèse n'a rien d'extravagante et Olivier Guillot a bien montré que les moines de Saint-Aubin d'Angers étaient chargés de rendre le service militaire pour la garde des châteaux comtaux en marche78. Le don d'equites ne signifierait qu'un transfert de service chevaleresque d'un seigneur laïque à un abbé.

Conclusion

  • 79 Elle existe cependant dans un acte du cartulaire de Redon de 1096. Cartulaire de l'abbaye Saint-Sau (...)
  • 80 ADIV, 1 F 1801, 1 ; dom Morice, I, 460-461.
  • 81 D. Barthélemy, « Qu'est-ce que la chevalerie... », op. cit., p. 62.
  • 82 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté. La petite noblesse en Bretagne, xve-xviie siècle, éd. Société d'h (...)

30Une chevalerie de haut rang et appartenant indéniablement à la noblesse existe bel et bien dans le Rennais au début du xie siècle. Elle décore les comtes et les seigneurs châtelains. Cependant, l'historien est confronté aux problèmes des non-dits des sources. Souligner la noblesse ou la chevalerie d'un comte relève presque du pléonasme. De même, l'expression « nobilis miles » ne se rencontre presque jamais car elle est redondante79). Mais la chevalerie la plus nombreuse est celle dont le pouvoir s'étend sur une partie de paroisses ou sur plusieurs d'entre elles. Ces individus habitent fréquemment, entre 1050 et la seconde moitié du xiie siècle, sur ou à côté d'une motte ce qui constitue un signe ostentatoire de leur rang social. Ils occupent en effet une place de choix au sein de la paroisse et y sont qualifiés « viri fortes et parrochiani » ou de principaux de la paroisse80. En deçà, les marges de la chevalerie restent plus difficiles à cerner et il faut prendre garde à ne pas interpréter trop hâtivement certains profils d'individus. Cependant, peut-on pour autant refuser toute ouverture de la chevalerie vers des individus d'origine plus modeste ? Sans renouvellement, cette dernière n'aurait pas été aussi vigoureuse. Dominique Barthélemy montre que les franges inférieures de la noblesse et de la chevalerie sont mouvantes au xie siècle81. Elles le sont tout autant aux xve et xvie siècles82. Le problème majeur de nos sources est de ne pas le mettre en évidence car, témoigner dans un acte, c'est déjà posséder un peu de notabilité.

Notes

1 Ainsi, André de Fleury classait les hommes en quatre catégories : les premiers, les moines (dont il fait partie), les deux autres étaient chargés de servir (les clercs et les chevaliers), enfin le peuple. Georges Duby, Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Gallimard, Paris, 1978, 428 p., et plus particulièrement p. 223-235.

2 Par exemple Léopold Genicot, La noblesse dans l'Occident médiéval, Variorum reprints, London, 1982, 111 p.

3 Karl-Ferdinand Werner, Naissance de la noblesse, Fayard, Paris, 1998, 587 p.

4 Jean Flori, L'essor de la chevalerie, xie-xiie siècles, Droz, Genève, 1986, 404 p.

5 Dominique Barthelemy, La mutation de l'an mil a-t-elle eu lieu ? Servage et chevalerie dans la France des xe et xie siècles, Fayard, Paris, 1997, 371 p.

6 Cf. les tableaux dressés dans D. Barthelemy, La mutation..., op. cit., p. 286-296 ; J. Flori, L'essor..., op. cit., p. 119-141.

7 Michel Brand'Honneur, Le château et la motte du ixe au xiie siècle, une clé d'analyse de la société féodale. L'exemple du comté de Rennes, thèse de doctorat de nouveau régime dactylographiée, Université de Rennes II, Rennes, 1998.

8 Ce chiffre ne peut être qu'approximatif en raison de la confusion possible entre deux individus portant, par exemple, le même nom ou d'un même personnage portant des noms différents.

9 Ce chiffre lisse les éventuelles fluctuations entre les différentes générations.

10 Jean Allenou, « Histoire féodale des marais, territoire et église de Dol. Enquête par tourbe ordonnée par Henri II, roi d'Angleterre », Annales de Bretagne, 1917, t. 32, p. 536-537.

11 Jean-Claude Meuret, Peuplement, pouvoir et paysage sur la marche Anjou-Bretagne (des origines au Moyen Âge), Société d'Archéologie et d'Histoire de la Mayenne, Laval, 1993, p. 370 ; M. Brand'Honneur, Le château et la motte.... op. cit., t.I, p. 430 ; et du même auteur, « Mottes et chevaliers ; question de méthode et/ou diversité régionale ? », Mondes de l'Ouest et villes du monde, Mélanges en l'honneur d'André Chédeville, PUR et Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, Rennes, 1998, p. 387-398.

12 Cf. M. Brand'Honneur, Le château et la motte..., op. cit. t. I, p. 410-411 et 446.

13 Soit en tout 307 mentions de miles ou de milites. Ce résultat diffère des 521 miltes recensés parce que, certains actes, mal datés, ne peuvent s'inscrire dans une fourchette chronologique précise de 50 années. De plus, il s'agit de compter le nombre de mentions de miles et de milites et non de comptabiliser les effectifs de milites dans les actes.

14 Hubert Guillotel, Les actes des ducs de Bretagne (944-1148), thèse de doctorat dactylographiée, Paris, 1973, p. CXLI.

15 Ibid., acte 23.

16 Dom Hyacinthe Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire civile et ecclésiastique de Bretagne, tirés des archives de cette province, de celles de France et d'Angleterre, des recueils de plusieurs scavans antiqaires, C. Osmont, Paris, 1742-1746,t.I, col. 864.

17 Dom Morice, I, 857-858.

18 Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 1 F 544, 10.

19 Yves Chauvin, Cartulaire de [abbaye Saint-Serge et Saint-Bach d'Angers, thèse, dactylographiée, Caen, 1969, acte 192.

20 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., acte 17.

21 Il s'agit de Robert III de Vitré, André II de Vitré, Robert de Sérigné, Odon de Cornillé, Silvestre de Cornillé, Geoffroy de Cornillé, Hervé III de Vitré, Robert de Landavran, Raoul Papillon, Raoul de Domagné, Hamelin de Pinel, Hervé Bésiel, Ruellon de Champeaux, Hervé vicarius, Hamelin de Taillis, Geoffroy de Leberta et de Geoffroy fils d'Hervé ; cf. l'inventaire dans M. Brand'Honneur, Le château et la motte..., op. cit., t. II.

22 Dom Morice, I, 631.

23 François Comte, L'abbaye Toussaint d'Angers des origines à 1330, Société des études angevines, Angers, 1985, acte 47.

24 M. Brand'Honneur, « L'habitat chevaleresque du xie au xiiie siècle. L'exemple du site de Dézerseul dans le comté de Rennes », Mémoires de la Société d histoire et d'archéologie de Bretagne (MSHAB), 1992, t. LXIX, p. 84-85.

25 M. Brand'Honneur, « Mottes et chevaliers... », op. cit.

26 Dom Morice, I, 623-624 ; A. Guillotin De Corson, Pouillé historique de l'archevêché de Rennes, René Haton et Fougeray, Paris-Rennes, 1880-1884, t. IV, p. 157

27 M. Brand'Honneur, « L'habitat chevaleresque... », op. cit., p. 77-94.

28 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., acte 10.

29 ADIV, 1 F 519, Livre Blanc, fol. 59.

30 Dom Morice, I, 808.

31 Par exemple, Arthur Bertrand de Broussillon, La maison de Laval (1020-1605). étude historique accompagnée du cartulaire de Laval et de Vitré, Picard, Paris, 1895-1900, acte 3233.

32 Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, publiées par François Delaborde, éd. Jules Renouard, Paris, 1882-1885,t.I, p. 210 et t. II, p. 162.

33 H. Guillotel, « Des vicomtes d'Alet aux vicomtes de Poudouvre », Annales de la Société d’histoire et d'archéologie de l arrondissement de Saint-Malo, 1990, p. 211-212 ; et Orderic Vitalis Historiae ecclesiasticae, publiées par Auguste Le Prévost, édit. Jules Renouard, Paris, 1855, t. IV, p. 245.

34 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., actes 57, 65 et 66.

35 . Ibid., acte 35.

36 ADIV, 1 F 544, 2.

37 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., acte 23.

38 H. Guillotel, « La place de Châteaubriant dans l'essor des châtellenies bretonnes (xie-xiie siècles) », MSHAB, 1989, t. LXVI, p. 5-46, acte 1.

39 Mabille, Emile, Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois, Société dunoise, Châteaudun, 1884, acte 149.

40 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., actes 19 et 10.

41 H. Guillotel, « La place de Châteaubriant... », op. cit., p. 7-8 ; K.F. Werner, « Du nouveau sur un vieux thème. Les origines de la "noblesse" et de la "chevalerie" », Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus, janvier-mars 1985, Paris, 1985 ; D. Barthélemy, « Qu'est-ce que la chevalerie en France aux xe et xie siècles ? », Revue historique, 1993, n° 587, p. 15-74.

42 Maurice Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, roi de France, Imprimerie Nationale, Paris, 1908, acte 157.

43 Dom Morice, I, 596.

44 Dom Morice, I, 691 et 770.

45 ADIV, 1 F 296, de 1163.

46 A. Bertrand de Broussillon, La maison de Laval..., op. cit., acte 3233.

47 ADLA, H 75, 29.

48 A. Bertrand de Broussillon, La maison de Laval..., op. cit., acte 432.

49 ADIV, 1 F 908, 113.

50 . Dom Morice, I, 528.

51 Harsculf de Soligné est mort en 1197 et non vers 1070 comme l'indique par erreur Jean-Yves Copy, dans Art, société et politique au temps des ducs de Bretagne. Les gisants haut-bretons. Aux Amateurs de Livres, Paris, 1986, p. 277 et 278.

52 A. Bertrand de Broussillon, La maison de Laval..., op. cit., t. 5, p. 293.

53 Sur le sceau est inscript : « S. Gaufridi Castri Brientii militis ». ADLA, H 75, 59.

54 Pour les autres sceaux, cf. Emile Le fort des Ylouses, « Armes et armures des chevaliers bretons d'après les sceaux », MSHAB, 1992, t. LX1X, p. 185-200.

55 ADIV, 1 F 517, Livre Blanc, fol. 91 ; dom Morice, I, 439. Cf. sur ces vicomtes H. Guillotel, « Des vicomtes d'Alet... », op. cit., p. 201-215.

56 . Dom Morice, I, 812-813.

57 Benoît de Peterborough, Vita et gesti Henrici II Angliae regis, publiée par Michel Jean-Joseph Brial, dir. Léopold Delisle, Paris, Recueil des historiens de Gaules et de la France, t. XIII, 1847, p. 467.

58 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., p. CLXXIX.

59 La tapisserie de Bayeux, édit. Ville de Bayeux. (non daté), scène 19-20.

60 K.F. Werner, Naissance..., op. cit., p. 186-200.

61 M. Brand'Honneur, Le château et la motte..., op. cit., t. II, p. 472-474.

62 ADIV, 1 F 204, de 1240 ; M. Brand'Honneur, Les mottes médiévales en IIle-et-Vilaine, Institut culturel de Bretagne et CeRAA, Rennes, 1990, p. 89.

63 M. Brand'Honneur, « Mottes et chevaliers... », op. cit.

64 ADIV, 1 F 517, Livre Blanc, fol.91 ; H. Guillotel, « Des vicomtes d'Alet... », op. cit., p. 213-214.

65 ADIV, 1 F 1801, 13 ; M. Brand'Honneur, « Le lignage, point de cristallisation d'une nouvelle cohésion sociale. Les Goranton-Hervé de Vitré aux xie, xiie et xiiie siècles », MSHAB, t. LXX, 1993, p. 71.

66 «  decimam atque sepulturam non stipendiis militum sed potius sustentatio nideberi monachorum, clericorum, pauperum atque peregrinorum... », dom Morice, I, 407 ; ADIV, 1 F 519, Livre Blanc, 64.

67 J. Boussard a interprété cet acte comme étant la preuve qu'il existait des mercenaires au xie siècle dans, « Services féodaux, milices et mercenaires dans les armées en France, aux xe et xie siècles », Ordinamenti militari in Occidente nell'alto medioevo. Settimane di studio del centro italiano di studi sull'alto medioevo, Spolète, 1968, t. XV, p. 163 ; ADIV, 1 F 517, Livre Noir, fol. 64, et Livre Blanc, fol. 93.

68 D. Barthélemy, La mutation..., op. cit., 1997, p. 280.

69 J.-F. Nlermeyer, Mediae latinitatis lexicon minus, E.-J. Brill, Leiden 1954, p. 407-408.

70 Acte publié dans M. Brand'Honneur, « Le lignage... », op. cit., p. 80-81, note 85.

71 ADIV, 1 F 517, Livre Blanc, fol. 77-78, 86-87, 90 ; 1 F 519, Livre Blanc, fol. 70-71, 73, Livre Noir, fol. 62.

72 ADIV, 1 F 519, Livre Noir, fol. 62.

73 ADIV, 1 F 517, 2, Livre Blanc, fol. 77.

74 H. Guillotel, Les actes..., op. cit., acte 96.

75 Ibid., actes 35, 42, 45.

76 Noël-Yves Tonnerre, La Bretagne féodale xie-xiie siècle, Ouest-France, Rennes, 1987, p. 116.

77 D. Barthélemy, « Qu'est-ce que la chevalerie... », op. cit., p. 64 ; Id., La mutation..., op. cit., p. 276.

78 Olivier Guillot, Le comte d'Anjou et son entourage au xie siècle, Picard, Paris, 1972, t. I, p. 381.

79 Elle existe cependant dans un acte du cartulaire de Redon de 1096. Cartulaire de l'abbaye Saint-Sauveur de Redon, Association des amis des archives historiques du diocèse de Rennes, Dol et Saint-Malo, Rennes, 1998, fol. 163 r.

80 ADIV, 1 F 1801, 1 ; dom Morice, I, 460-461.

81 D. Barthélemy, « Qu'est-ce que la chevalerie... », op. cit., p. 62.

82 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté. La petite noblesse en Bretagne, xve-xviie siècle, éd. Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, Rennes, 1993, p. 375-380.

Table des illustrations

Titre Graph. 1- Nombre de textes où les mots miles ou milites se trouvent mentionnés13.
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Titre Graph. 2- Pourcentage d’actes mentionnant ou ne mentionnant pas les termes miles ou milites.
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